🇪🇨 En Équateur, le combat des ex-salariés volés par le pétrolier Perenco (Éric Besatti / Reporterre)


Perenco, un pétrolier franco-britannique, refuse de payer ses ex-salariés équatoriens. Et impose au pays une amende de 374 millions de dollars. Son tort ? Avoir promulgué une loi sur les superprofits.

En plein coeur de l’Amazonie, le français Perenco a exploité les concessions pétrolières des blocs 7 et 21 de 2001 à 2009 avant de claquer la porte, laissant derrière lui les installations à l’abandon. – © DR

Cet article fait partie de l’enquête « Perenco, un empire décrié au Guatemala et en Équateur ». Voir également Le pétrolier franco-britannique Perenco dévaste le Guatemala (enquête de Joseph C. Kotscho et Aryanita Castillo / Reporterre)

À Puerto Francisco de Orellana, ville peuplée d’ouvriers pétroliers en plein cœur de l’Amazonie équatorienne, Perenco a laissé un souvenir amer. Le pétrolier franco-britannique doit encore 25 millions de dollars (environ 23 millions d’euros) à ses anciens salariés, quatorze ans après avoir quitté les lieux.

Nestor Gurumendi, qui vit dans une maison en bois au confort rudimentaire, ne comprend pas l’attitude de son ancien employeur. « La France est pourtant un pays où est née la protection des travailleurs et les droits de l’Homme, s’étonne l’homme de 53 ans. Ce n’est pas un cadeau que l’on demande, juste le respect de la loi. »

Entre 2001 et 2009, il occupait un poste d’aide à la production. À l’époque, le bloc 7, un secteur géographique dessiné à la règle, était concédé à Perenco par l’État équatorien. Dans son travail, parfois de nuit, il était exposé aux dangers, aux vapeurs toxiques, à la chaleur, pour un salaire conforme au minimum légal équatorien, soit plus ou moins 230 dollars (environ 211 euros). Comme le prévoyait le Code du travail équatorien, Perenco reversait aux salariés 15 % de ses bénéfices ; une façon de leur faire supporter la pénibilité de la tâche.


Mais aujourd’hui, pour les 560 anciens salariés répartis entre les différents sites d’exploitation et les bureaux de Quito, la capitale du pays, les comptes n’y sont pas. Nestor Gurumendi, à qui il manque quelques milliers de dollars, précise que sa situation « n’est pas la pire », car il « survit avec un travail d’agent de sécurité ». Il cite des compagnons morts, sans emploi ou malades, dans un pays où le système de santé est loin d’être en forme.

Perenco gagne du temps

Par son attitude, Perenco ne méprise pas seulement les anciens salariés, mais aussi l’État équatorien et son droit. Depuis plusieurs années, le ministère du Travail a rappelé ses obligations à Perenco, via des ordres de paiement signés par la main du ministre, comme celui que Reporterre s’est procuré et datant du 21 juin 2018.

Mais depuis tout ce temps, l’avocat de Perenco, unique interlocuteur de la multinationale en Équateur, temporise. Pour ne pas payer, Esteban Bueno Carrasco invoque le conflit en cours entre l’État et Perenco : le pétrolier français impose à l’Équateur une amende de 374 millions de dollars (près de 343 millions d’euros), pour avoir promulgué une loi sur les superprofits à l’époque de la présidence de Rafael Correa (2007-2017). En 2022, l’Équateur s’est engagé à payer cette amende, qu’il a déjà réglée à 57 %. Alors, qu’est-ce qui coince ?

C’était la question centrale lors de l’audience de la Cour constitutionnelle qui s’est déroulée à Quito, le 24 février dernier. « Dos au mur, sans aucun nouvel argument, l’avocat de Perenco a remis en question les calculs des sommes dues aux salariés », rapporte María-Eugenia Mosquera, porte-parole des ex-salariés. Elle souligne « la mauvaise foi » de l’avocat, en rappelant que le 15 mai 2019, lors d’une rencontre avec les ex-salariés sous l’égide du ministère du Travail, l’avocat équatorien de Perenco avait reconnu les sommes dues. De son côté, Esteban Bueno Carrasco, l’avocat de Perenco, après nous avoir demandé d’adresser nos questions par écrit, reste injoignable par téléphone et par écrit.

Le dossier Perenco « égaré »

Ce qui a le plus choqué María-Eugenia Mosquera lors de cette audience de la Cour constitutionnelle, ce n’est pas la stratégie de l’avocat de Perenco, mais celle affichée par l’État. L’avocat du ministère du Travail, comme celui de la présidence de la République et celui du Procureur général « ont protégé les intérêts de Perenco au lieu de défendre les citoyens »« Au lieu de demander le respect de la loi, ils ont affirmé que l’affaire relevait simplement d’un litige entre l’entreprise et ses salariés. Je suis restée bouche bée, se souvient María-Eugenia Mosquera. Perenco est en train de voler les citoyens équatoriens et l’État laisse faire. »

Une délégation des anciens salariés a manifesté le 24 février 2023 devant le Conseil constitutionnel alors qu’une audience pour régler l’affaire Perenco s’y déroule. Les ex-salariés multiplient les piquets de grève devant les institutions responsables de ne pas faire appliquer le droit équatorien à la multinationale française. © DR

Comment un État peut-il « ne pas demander l’application du droit ? » s’étonne María-Eugenia Mosquera. Durant l’audience, l’avocat du ministère du Travail a répondu à la juge que le ministère avait « égaré » le dossier Perenco, et donc que ses services étaient dans l’incapacité de pouvoir suivre l’affaire. Pudiquement, María-Eugenia Mosquera rappelle que les affaires de corruption d’élus ou d’agents publics sont fréquentes dans le fonctionnement de l’État équatorien. En 2022, l’Équateur était ainsi classé 101e sur 180 dans le baromètre Transparency international de la corruption ; quand la France, elle, est à la 21e place. (…)

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