🇬🇹 Le pétrolier franco-britannique Perenco dévaste le Guatemala (enquête de Joseph C. Kotscho et Aryanita Castillo / Reporterre)


Depuis 2001, Perenco exploite le pétrole du Guatemala dans la deuxième plus grande zone humide d’Amérique latine, en facilitant la déforestation. Les populations, elles, subissent pollutions et persécutions.

Un homme traverse à vélo les chemins qui parcourent le Campo Xan, servitude de passage à travers les installations de Perenco qui facilite l’accès au cœur de la Laguna del Tigre. – © Aryanita Castillo / Reporterre

Cet article fait partie de l’enquête « Perenco, un empire décrié au Guatemala et en Équateur ». Voir également : En Équateur, le combat des ex-salariés volés par le pétrolier Perenco (Éric Besatti / Reporterre)

Première partie : reportage au parc Laguna del Tigre (Guatemala)

Par une servitude de passage à travers le Campo Xan, nous entrons sur les terres de Perenco au Guatemala : 9 000 hectares parmi les reliques de ce qui fut une forêt jusqu’en 1985. Aux meilleures heures de l’exploitation par la compagnie pétrolière franco-britannique, une cinquantaine de puits fonctionnaient ; en 2022, il n’en reste que 35. Le long des chemins courent les conduits tentaculaires qui transportent le pétrole depuis chaque forage. « Danger – H₂S – gaz toxique », lit-on sur le grillage qui enceint certains puits. Produit par la fermentation des matières organiques, le sulfure d’hydrogène (H₂S) est en effet toxique et corrosif. Beaucoup des forages se situent dans le biotope de la Laguna del Tigre-Río Escondido — pourtant censée être interdite aux activités humaines et industrielles [1] —, où se trouve la zone humide d’eau douce la plus vaste du pays, faite de rivières, de plus de 300 petites lagunes tropicales, de savanes et de marécages. Une biodiversité aujourd’hui menacée par le pétrolier, qui aspire aussi petit à petit la santé des habitants.

Au hameau de Vista Hermosa, voisin du Campo Xan, on ne compte plus les désagréments. « On voit les torchères [2] vers 6 ou 7 heures du matin, du côté des puits Xan-3, 5, 15, 38 et 39. Le vent amène la fumée jusqu’ici », dit Lucía [*]. Javier [*], la cinquantaine, qui a grandi dans le département caribéen d’Izabal, se souvient que « là-bas, une plaque de tôle dure vingt-cinq ou trente ans ; ici, elles sont foutues au bout de trois ans ! » Un effet connu de la pollution autour des torchères. Certains ont des problèmes respiratoires, des irritations, des rhumes chroniques. Daniela [*] se demande si ce n’est pas la raison pour laquelle sa fille « est née avec une bradycardie et un retard psychomoteur ».

« Le centre d’assistance sanitaire le plus proche estime que, du fait de la pollution de l’eau, 50 % des enfants [de cette zone] naissent avec des problèmes respiratoires et que 30 % des grossesses se terminent par un décès à la naissance », écrivaient trois ONG en 2015 dans une adresse au Conseil des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations unies (ONU). Quant au puits communautaire, l’aspect huileux et l’odeur de soufre de son eau dissuadent la plupart de la consommer.

Pour les trente-sept communautés du Parc national Laguna del Tigre, les activités de Perenco, situées au cœur de ce parc de 3 350 km², posent divers problèmes. Le pétrolier, en plus d’autres entreprises, et le narcotrafic [3] très présent ici ont fait perdre au parc 34 % de sa couverture forestière de 1984 à 2017. C’est en 2001 que Perenco Guatemala Limited a racheté la concession de vingt-cinq ans accordée en 1985 à Basic Resources.

Deuxième groupe pétrolier français, Perenco a longtemps eu comme dirigeant le père de la ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. Perenco a fait la fortune de la famille Perrodo (classée quinzième de France par Challenges en 2022) grâce à une spécialité : le rachat de puits considérés comme n’étant plus rentables afin d’en prolonger l’exploitation. Avec le rachat de la concession, Perenco a récupéré le site d’extraction Campo Xan, mais aussi la raffinerie de La Libertad, au centre du département, et un oléoduc de 475 km qui transporte le pétrole jusqu’au terminal d’exportation Piedras Negras sur la côte caribéenne.

Soutien de l’État

Pour entrer dans le parc national, il faut traverser le río San Pedro avec un « ferry » (un bac) géré par… Perenco, qui contrôle l’accès. Ensuite, une route conduit jusqu’au site d’extraction Campo Xan. En 2006, un rapport du Conseil national des zones protégées (Conap) notait déjà que Perenco, « pour optimiser son travail, a toujours maintenu en bon état le réseau de routes qui, depuis le chef-lieu de La Libertad, conduisent jusqu’au cœur du parc. Cela a évidemment permis que beaucoup de gens y pénètrent en recherche de terre, poussés en cela par le problème agraire ». Or plus de 90 % de la déforestation de la Laguna del Tigre s’est développée dans des zones situées à moins de 2 kilomètres de ces chemins pétroliers.

Pourtant Perenco, qui produit 239 000 tonnes de gaz à effet de serre par an — presque autant que l’aéroport international de la capitale (250 000) —, n’est pas inquiétée par l’État pour son influence sur la zone. Pis : elle jouit de son soutien.

Des soldats patrouillent autour des infrastructures attenantes à Campo Xan. Entrés par un chemin non contrôlé, nous arrivons devant une barrière abaissée. Un fonctionnaire du Conap sort de son bureau dans la caserne, relève la plaque d’immatriculation puis demande au chauffeur sa pièce d’identité — un contrôle illégal. Le chauffeur se tend : les avis d’arrestation et captures arbitraires se multiplient sur fond de criminalisation de la contestation sociale (lutte contre les mégaprojets, défense de l’eau, des droits et de la loi en général) ; il craint que les données ne soient communiquées à la police.

En 2010, après qu’il eut prolongé le contrat d’exploitation de Perenco en violation de diverses lois et malgré l’opposition de plusieurs ministres, le président Álvaro Colom a annoncé la création du Bataillon d’infanterie de la jungle, dit « Bataillon vert ». Ce contingent de 250 soldats d’élite est censé veiller, en coordination avec le Conap, à la protection de la Laguna del Tigre contre les contrebandiers et trafiquants divers. Cela n’a pas empêché la création d’une piste aérienne clandestine de narcotrafiquants… à 25 mètres du puits Xan-30 de Perenco, piste découverte en 2017 par un journaliste.

Comme l’a montré le Collectif Guatemala, le financement de Perenco est tout sauf étranger à la création de ce contingent. Il explique le lien entre la compagnie et l’armée, de la protection du « ferry » par un détachement militaire situé sur les rives du río San Pedro aux patrouilles sur le Campo Xan. En 2022, les « donations » versées par l’entreprise au ministère de la Défense, sur la base d’un pourcentage sur chaque baril, s’élevaient à 3 975 000 quetzales (environ 452 000 euros). (…)

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Deuxième partie : Au Guatemala, le pétrolier franco-britannique Perenco fait sa loi

Le Congrès du Guatemala devrait prochainement voter une loi favorisant le pétrolier franco-britannique Perenco. Depuis plus de vingt ans, ce dernier reste protégé de la justice malgré une longue série d’irrégularités.

Vue aérienne des installations de Perenco au Guatemala, dans la deuxième plus grande zone humide d’Amérique latine. – © Tobias Zamora

C’est un texte taillé sur mesure pour une entreprise. Voilà ce que devrait bientôt voter le Congrès de la République du Guatemala. Une « loi Perenco » selon l’opposition, du nom de l’entreprise franco-britannique qui extrait 90 % du pétrole national et apporte à l’État 95 % des revenus pétroliers [1]. L’avis favorable de la commission des finances publiques du Congrès est sans ambiguïté : « Le contrat n° 2-85 [de Perenco] [2]est sur le point d’expirer, de sorte qu’une réaction législative à ce propos est impérative. » Pourtant, les volumes extraits et les recettes pour l’État décroissent depuis des années [3].

Ce texte propose que les contrats d’opérations pétrolières, d’une durée maximale de vingt-cinq ans, puissent être prorogés de vingt-cinq ans de plus (contre quinze actuellement), jusqu’à atteindre « la limite économique du gisement », soit le stade où « la production issue d’un gisement est insuffisante pour couvrir les coûts récupérables pour continuer les opérations prévues par le contrat ». Ces « coûts récupérables » sont les dépenses de l’entreprise remboursables par l’État — ce dont Perenco a usé et abusé [4].

Le projet de loi propose aussi de permettre une suspension des paiements à l’État et une « reconnaissance de dette d’une échéance pouvant aller jusqu’à vingt-quatre mois ». Il prévoit aussi que la loi s’applique à tout contrat en vigueur lors de son entrée en application. « Cela entre en conflit avec le principe de non-rétroactivité et de sécurité juridique de la Constitution et de la loi de l’Organisme judiciaire », dit à Reporterre Ligia Hernández Gómez, députée du parti écolo Semilla. En outre, ce texte « permet une prorogation des contrats sans processus d’appel d’offres, contrairement à ce que prévoit la loi sur les hydrocarbures ».

Le parcours même du projet de loi a été inhabituellement court : présenté le 19 janvier 2022 en séance plénière, voté en première et deuxième lectures les 6 et 7 décembre, il sera soumis à une dernière lecture avant le terme de la législature, les élections ayant lieu le 25 juin 2023. Alors que Perenco exploite le pétrole dans une zone protégée et que tout contrat d’exploitation exige la validation par le ministère de l’Environnement et une étude d’impact environnemental, ce n’est pas la commission de l’environnement du Congrès qui a examiné le texte mais celle des finances publiques. Il est vrai que la première est dominée par des partis d’opposition… et la seconde par une majorité d’alliés du gouvernement. « La commission a donné un avis favorable en un temps record sans véritable étude », précise Mme Gómez.

Pas un mot dans l’avis de la commission sur « le fait que ces ressources sont exploitées dans une zone protégée et que la loi des zones protégées interdit les activités extractives dans les parcs nationaux et les zones-noyaux de la Réserve de la biosphère maya ». La réforme étant, selon la commission, « d’urgence absolue », l’environnement passe à l’as. « Personne n’ose dire que l’entreprise ne respecte pas l’exigence de fournir une étude d’impact environnemental. Cela impliquerait de dire qu’elle est dans l’illégalité. Ce serait mettre en évidence la négociation entre le gouvernement et l’entreprise pour passer au-delà de la loi environnementale. » (…)

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