Extractivisme, retour sur un concept émergent (Caroline Weill/ CADTM)

Le terme d’ « extractivisme » est un concept qui se fraye aujourd’hui un chemin dans les discours associatifs et engagés, et un sujet de plus en plus régulièrement abordé. Les 25 et 26 mai 2018, le festival « Rencontres contre l’extractivisme en Amazonie » réunissait à Paris plusieurs grandes organisations autour de la question ; en 2016, Anna Bednik sortait son livre « Extractivisme. Exploitation industrielle de la nature : logiques, conséquences, résistances » ; les campagnes internationales de soutien aux « défenseurs de l’environnement » se multiplient et les résistances contre l’extractivisme s’organisent au Nord comme au Sud… Mais de quoi parle-t-on, exactement ?

Pour l’Institut de Recherche et d’Information Socio-économique (IRIS), le terme d’ « extractivisme » vient d’extraction. « On retire une ressource (minérale, pétrolifère, agricole, animale, sylvicole, etc.) du milieu naturel, puis on la vend sur les marchés, habituellement, internationaux ». C’est probablement l’intellectuel uruguayen Eduardo Gudynas qui aura le plus contribué à asseoir ce concept. En français, on lui préférait jusqu’il y a peu les termes d’agrobusiness, d’industrie minière ou pétrolière, d’exploitation forestière, etc. Or, comme le soulignent les grandes figures théoriciennes de l’extractivisme (Alvaro Acosta, Maristella Svampa, ou encore Raul Zibechi), au-delà de la simple description des industries qui extraient des ressources non-renouvelables, il s’agit bien de la conceptualisation d’un système géopolitique, économique et historique qui constitue le pilier principal des économies des ex-pays colonisés, basé sur la subalternalité et la dépendance. Ce constat, déjà mis en lumière en 1971 par l’œuvre classique d’Eduardo Galeano « Les veines ouvertes de l’Amérique latine », est aujourd’hui repris en particulier par les mouvements autochtones qui dénoncent la néo-colonisation, la dépossession de leur territoire et la destruction de l’environnement qui assure depuis des millénaires leur survie. Ainsi, si le concept d’extractivisme est fortement ancré dans les Amériques (Amérique latine mais aussi Premières Nations canadiennes et étatsuniennes), ce système politico-économique s’est imposé dans bien d’autres continents, depuis l’Afrique jusqu’à l’Asie du sud-est, en passant par l’Australie mais aussi la Guyane, territoire colonisé et aujourd’hui administré par la France, où le projet minier « Montagne d’or » soulève des débats houleux. Les problèmes que pose l’extractivisme se situent à différents niveaux, tant par leurs caractéristiques et conséquences que par la façon dont ce modèle économique est imposé ; l’ampleur des réponses sociales et

politiques en sont bien le reflet (…..)

Face à cette situation alarmante, la résistance s’organise. La société civile assume dès lors le devoir de vigilance vis-à-vis des entreprises : c’est l’exemple de la Red Sombra, une alliance d’organisations colombiennes, argentines, péruviennes, boliviennes, suisses et allemandes qui dressent le véritable portrait de l’entreprise Glencore Xstrata et pointent l’impact de ses activités sur ses différents sites d’exploitation en Amérique du Sud. Certaines initiatives recensent le nombre de conflits socio-environnementaux dans le sous-continent, comme l’Observatoire des Conflits miniers en Amérique Latine ; d’autres proposent un accompagnement légal et juridique aux communautés qui subissent la criminalisation des manifestations. L’observatoire des multinationales informe en France de la réalité de l’extractivisme au niveau mondial, tout comme France Libertés, les Amis de la Terre ou France Amérique Latine ; par ailleurs, d’autres collectifs s’organisent pour soutenir la lutte de peuples autochtones contre l’extractivisme, comme les collectifs Saukaap au nord de l’Amazonie ou encore le Comité de Solidarité avec Cajamarca au Pérou. Premières sur la ligne de front, les femmes développent aussi leurs propres analyses, avec des concepts novateurs comme celui de « corps-terres » ou « corps-territoire », puisant souvent dans l’éco-féminisme.

Barril de pétrole de l’entreprise TexaCo @Felipe Sasso (CC)

Finalement, certaines victoires et avancées sont à noter, malgré l’immensité de la tâche. L’assassinat de Berta Caceres en 2016 n’aura pas empêché le peuple Lendas, au Honduras, de s’opposer à la construction d’un barrage hydroélectrique, et de gagner la bataille. La lutte pour la justice avance, notamment avec la reconnaissance de la responsabilité extraterritoriale des entreprises transnationales : le cas du procès contre l’entreprise canadienne Hudbay Minerals pour le viol d’au moins 11 femmes autochtones par la police et l’armée pourrait bien établir un précédent important dans la lutte contre l’impunité des crimes commis dans le cadre de l’extractivisme. La victoire des peuples amazoniens d’Équateur face au géant pétrolier Chevron est également une très bonne nouvelle et un précédent potentiel. En France, la loi sur le « devoir de vigilance » pour les multinationales françaises en matière sociale et environnementale a été adoptée le 30 mars. Au niveau international, depuis plusieurs années, une commission de l’ONU travaille à une proposition de traité contraignant sur la responsabilité extraterritoriale des entreprises transnationales. Une première version du traité a été publiée le 20 juillet 2018, et sera discuté au sein de la commission du 15 au 20 octobre 2018.

La lutte est longue et exténuante pour les personnes engagées dans ce bras de fer de type David contre Goliath. Les enjeux économiques énormes et les relations de pouvoir asymétriques et historiques entre populations négativement affectées et entreprises (et États), font de la défense des droits humains et de l’environnement une activité extrêmement risquée de par le monde. Cependant, la question de la survie des communautés affectées par les projets extractifs étant en jeu, beaucoup perçoivent leur lutte comme une question de vie ou de mort. Or, les enjeux environnementaux, s’ils les affectent directement, nous impliquent tou.te.s à un certain niveau : d’une part, à cause des dérèglements globaux et de l’autre par notre coresponsabilité dans le maintien d’un modèle économique de consommation de masse qui a besoin de l’extractivisme pour se perpétuer. (…)

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