🇭🇹 Haïti : crise politique, sécuritaire et sanitaire (entretien avec Camille Chalmers – France 24 / entretien avec Frédéric Thomas – RFI)


En Haïti, crise politique et sécuritaire se mêlent à la crise sanitaire avec le retour du choléra. Le secrétaire général de l’ONU appelle à l’envoi “d’une force armée internationale” en Haïti. Camille Chalmers, économiste et représentant de la Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA) revient notamment sur les propos d’Antonio Guterres. Il s’indigne contre cette appel et rappelle que les échecs répétés des missions internationales devraient servir de leçon.

La police tire des gaz lacrymogènes lors d’une manifestation à Port-au-Prince, en Haïti, le 10 octobre 2022. © Ralph Tedy Erol, Reuters

Camille Chalmers, économiste et représentant de la PAPDA, considère que l’appel onusien vise à légitimer le pouvoir, selon lui, anticonstitutionnel du Premier ministre Ariel Henry, en proie à un mouvement de protestation. Il affirme que les gangs qui sévissent servent à mater la mobilisation populaire, notant qu’ils bénéficient de l’appui de certaines élites mafieuses et politiques.

Camille Chalmers accuse ainsi la communauté internationale de fermer les yeux sur ce lien entre les autorités et la criminalité organisée. Il appelle à la démission d’Ariel Henry et prévient que le pays est au bord d’une explosion sociale et politique.


«Les interventions étrangères n’ont fait qu’affaiblir l’État haïtien»
(entretien avec Frédéric Thomas par Mikael Ponge / RFI)

En Haïti, les manifestations antigouvernementales se poursuivent dans tout le pays. Des milliers de personnes réclament le départ du Premier ministre Ariel Henry face à l’augmentation du coût de la vie, les pénuries d’essence et l’insécurité. Une mobilisation ravivée en fin de semaine dernière lorsque le chef du gouvernement a officiellement demandé une intervention militaire étrangère pour tenter de desserrer l’étau des bandes criminelles sur Haïti.

« Anticonstitutionnel », « illégal » : les critiques ne manquent pas. Sont-elles fondées ? RFI a posé la question à Frédéric Thomas, docteur en sciences politiques au Centre Tricontinental (CETRI), basé en Belgique.

Manifestation exigeant la démission du Premier ministre haïtien Ariel Henry, à Port-au-Prince, Haïti, le 10 octobre 2022. Reuters – Ralph Tedy Erol

RFI : Au regard du droit, cette demande du gouvernement haïtien est-elle illégale, inconstitutionnelle, comme l’avancent une majorité d’Haïtiens ?

Frédéric Thomas : Dans la Constitution d’Haïti est bien inscrit le principe d’indépendance et de souveraineté. On est donc face à un fait inédit, où un gouvernement qui n’est pas dans un état de guerre, qui n’est pas envahi, appelle à une intervention armée internationale pour régler des problèmes internes. Cela apparaît aux yeux de la population comme une nouvelle humiliation et comme le marqueur de l’incapacité du gouvernement à lutter contre les bandes armées, contre l’insécurité, son incapacité à régler les problèmes auxquels le pays est confronté. C’est vraiment un marqueur de la faillite de ce gouvernement et de la diplomatie poursuivie jusqu’ici. Cet appel semble plutôt une manière, pour ce gouvernement, de se jeter dans une fuite en avant pour assurer sa survie politique. 

Quelles traces ont laissé les interventions étrangères qui ont jalonné l’histoire moderne d’Haïti ?

Elles ont laissé de très mauvais souvenirs. Les effets les plus immédiats, les plus récents, sont la propagation de l’épidémie de choléra en 2010 [introduite par des Casques bleus népalais, ndlr]. La maladie avait disparu au cours des trois dernières années, mais elle réapparaît aujourd’hui. Les précédentes interventions ont aussi été marquées par de multiples agressions sexuelles et des viols de la part des Casques bleus, et par une forme d’impunité puisque ces derniers n’ont pas pu être jugés en Haïti. Et enfin, le statut de la mission est problématique puisqu’il s’agit d’une mission de maintien de la paix et, encore une fois, Haïti n’est pas en situation de guerre.

Haïti n’est pas en situation de guerre aujourd’hui, mais en situation de guérilla urbaine. Au regard de l’histoire, ces interventions étrangères en Haïti ont-elles solutionné les différentes crises ou les ont-elles aggravées ?

Ces missions étaient censées stabiliser et renforcer l’État haïtien, mais n’ont fait que l’affaiblir. Elles n’ont pu se confronter à aucun des problèmes structurels auxquels fait face le pays et, à long terme, elles ont un peu plus affaibli les institutions publiques et rendu le pays plus dépendant. Cela hypothèque son avenir et condamne Haïti à ce cycle de crises, de catastrophes et d’ingérences. (…)

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Voir également :
Haïti: les pillages se poursuivent aux Gonaïves, les entreprises du ministre de la Défense attaquées (RFI / 12 octobre)
Des milliers de Haïtiens manifestent contre l’appel à l’aide étrangère (France 24 / 11 octobre)
En Haïti, une personne tuée lors d’une manifestation contre le gouvernement et son appel à une aide internationale (Le Monde / AFP / 11 octobre)
Haïti: la demande d’intervention d’une force étrangère ne fait pas l’unanimité (RFI / 10 octobre)
Le chef de l’ONU réclame une force armée internationale pour aider Haïti (France 24 / 10 octobre)