🇭🇹 Haïti : l’envoi d’une force armée internationale est une fausse bonne solution (Tribune de  Frédéric Thomas / CETRI / Libération)


Le Conseil de sécurité de l’ONU vient d’autoriser une mission d’appui à la sécurité sur le sol haïtien. Pour Frédéric Thomas, politologue, cette résolution risque de favoriser la mise sous tutelle du pays plutôt que d’avoir des effets durables face à un exécutif illégitime.

Affrontements entre la police et des manifestants à Petit-Goâve, à Haïti, le 14 septembre 2023. (Richard Pierrin/AFP)

Ce lundi 2 octobre, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une résolution autorisant l’envoi d’une « Mission multinationale d’appui à la sécurité » en Haïti. Cette force armée internationale sera bientôt déployée sur le sol haïtien. Loin de constituer une marque de solidarité, elle entérine la fuite en avant de la communauté internationale.

Il aura fallu un mois d’âpres négociations pour que le lundi 2 octobre soit adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU la résolution autorisant l’envoi d’une « mission multinationale d’appui à la sécurité » en Haïti. La Russie et la Chine se sont abstenues. Pékin a obtenu un élargissement de l’embargo sur les armes ; manière de pointer du doigt la responsabilité des États-Unis d’où provient l’essentiel des armes aux mains des bandes armées haïtiennes et de mettre en avant des mesures alternatives autrement efficaces.

La demande de « déploiement immédiat d’une force armée spécialisée » avait été faite, il y a près d’un an déjà, par le gouvernement haïtien. Mais, les États-Unis, ne souhaitant pas en prendre la tête, n’avaient réussi à convaincre ni le Canada ni le Brésil de le faire et les autres candidats potentiels, échaudés par les expériences passées et craignant de se retrouver piégés dans « le bourbier haïtien », ont décliné l’invitation pressante de la Maison Blanche. Ce n’est que le 29 juillet dernier que le Kenya a annoncé qu’il était disposé à prendre la direction de cette mission.

Dans les prochaines semaines, une nouvelle force internationale – Haïti en a connu plusieurs au cours de ces trois dernières décennies – foulera donc le sol haïtien. La Jamaïque, Barbade et Antigua et Barbuda se sont engagés à y participer et une dizaine d’autres pays se seraient montrés disponibles. Bien que les États-Unis ne comptent pas se joindre à cette mission, l’essentiel de son financement, de sa logistique et de sa stratégie sera défini à Washington.

L’objectif de la « Mission multinationale d’appui à la sécurité », qui a un mandat initial d’un an et sera évalué après neuf mois, est d’apporter un soutien opérationnel à la police haïtienne, d’assurer la sécurité de points névralgiques (ports, aéroports, hôpitaux, etc.) et, à moyen terme, de permettre la tenue d’élections. Le Conseil de sécurité attend des informations sur les effectifs, ressources, zones d’intervention et la stratégie de sortie de cette mission. Demeure cependant, plus fondamentalement, une double interrogation en termes d’efficacité et de légitimité.

Efficacité et légitimité de cette force multinationale ?

La mission internationale devra intervenir dans des quartiers populaires densément peuplés où la distinction entre membres des gangs et population civile n’est pas toujours aisée. Or, ces forces étrangères ne connaissent ni la zone d’intervention ni la langue (le créole). Par ailleurs, l’efficacité de cette intervention dépend aussi de la confiance et de l’appui de la population haïtienne. C’est surtout là que le bât blesse et que la question de l’efficacité rejoint celle de la légitimité.

Le prochain déploiement d’une force multinationale intervient six ans après seulement que la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) ait quitté le pays. Elle a laissé un goût amer : les casques bleus ont été responsables de la propagation de l’épidémie du choléra et d’agressions sexuelles. Ayant d’abord refusé de reconnaître ces faits et sa responsabilité, l’ONU a ensuite promis d’indemniser les victimes. Les Haïtiens attendent toujours réparation. À cela vient s’ajouter l’échec flagrant de cette mission au regard de la situation dramatique actuelle faite d’insécurité et d’instabilité.

Aussi désespérée que soit la population haïtienne, cette énième intervention étrangère suscite des sentiments ambivalents ou hostiles. D’autant plus qu’elle vient en appui à une police locale discréditée, corrompue et politisée, accusée de complicité avec les bandes armées. La confiance n’est donc pas acquise. Et comment la gagner au vu des risques d’abus et de la probabilité qu’ils demeurent impunis ? Il n’y a, de toutes façons, aucun contrôle de cette force internationale à attendre d’un gouvernement haïtien indifférent au sort de la population et qui ne lui rend aucun compte. (…)

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Pour rappel, voir aussi :
Solidarité avec le peuple haïtien : non à une intervention étrangère, oui à l’autodétermination haïtienne (communiqué collectif)
Haïti: l’ONU autorise l’intervention d’une force internationale (revue de presse et premières analyses)