Hasta siempre Tabaré (Lauriane Bouvet)

Une figure synthétisant trois décennies d’histoire de la gauche uruguayenne s’en est allée le 6 décembre dernier. Leader de la principale force de gauche et figure de ladite « vague rose », l’ex-président Tabaré Vázquez avait pour la première fois porté la gauche au pouvoir d’abord à l’Intendance de Montevideo en 1990, puis à la présidence de la République en 2004.

Lauriane Bouvet est enseignante d’espagnol, doctorante à l’université de Grenoble et membre du Comité directeur de France Amérique Latine.

AFP / Pablo PORCIUNCULA

Si le bilan du progressisme au pouvoir est, en Uruguay comme dans tous les pays dudit « tournant à gauche », contrasté, l’extrême difficulté de la période de pandémie et de vague réactionnaire en cours ne sont pas les seuls éléments qui expliquent l’émotion des refrains frente-amplistes scandés par des milliers d’uruguayens rassemblés pour un dernier hommage. En sa personne apparait en filigrane l’espoir qu’a représenté le Frente Amplio dans l’histoire récente uruguayenne.

Lors d’une période socialement et politiquement catastrophiques, faisant suite à l’échec du référendum de 1989 contre la loi de caducité, à la rupture du Frente Amplio, à la mort des dirigeants historiques Raúl Sendic et Rodney Arismendi et en pleine crise mondiale du socialisme, Tabaré Vázquez, cadre socialiste issu du quartier populaire de La Teja, représentait pour la gauche une victoire inespérée. Pour la première fois le FA gagnait une élection, menant celui-ci à gouverner Montevideo et ouvrant un chemin pour faire sortir la gauche de l’isolement et de la dépression en promouvant une nouvelle stratégie politique faite d’alliances larges et de liens resserrés avec certains secteurs du pouvoir, ainsi que d’un programme mettant en avant le « renouvellement de la gauche » et, au-delà des slogans, de mesures concrètes pour améliorer le quotidien des plus démunis. Une nouvelle stratégie qui conduisait à une croissance soutenue du vote frente-ampliste, qui, conjointement au puit creusé par les politiques néolibérales des 1990, mènerait le FA à la présidence, l’un des moments d’euphorie collective les plus importants de ces dernières décennies.

Le « Todo cambia » emprunté à Mercedes Sosa pour la campagne se traduisait en actes : l’urgence sociale trouvait des réponses. La première présidence frente-ampliste voit la pauvreté se réduire de 30% en 2005 à 12,6% en 2010, le salaire augmenter de 27% et le chômage tomber de 13,1% à 7,5%. On se souvient également des différentes lois visant à réduire les inégalités : la consécration des droits des travailleurs.ses domestiques (2006) et des ouvriers agricoles (2008), l’ouverture du Plan Ceibal pour réduire les inégalités en matière d’éducation au numérique (2007), la collaboration avec les médecins cubains et l’ouverture de l’Hospital de los Ojos José Martí, entre autres mesures destinées à étendre la couverture des systèmes de santé et de sécurité sociale.

Les premiers temps de la première présidence Vázquez ont également été marqués par des gestes soulevant bien des espoirs en matière de Mémoire, de Vérité et de Justice vis-à-vis des crimes du terrorisme d’État. Pour la première fois, un groupe d’historiens allait accéder aux archives et des archéologues et anthropologues aux terrains militaires à la recherche des corps de disparus, parallèlement à quoi la loi de caducité allait bénéficier d’une interprétation dite « perforatrice », permettant quelques procès.

Néanmoins, les sujets polémiques ne manqueront pas : au sujet du leg dictatorial, c’est le cas de l’échec de la déclaration plus qu’ambiguë du 19/06 comme Jour du Nunca Más, où Vázquez, en dépit de l’historiographie développée, suit la théorie des Deux Démons pour appeler à ce que jamais plus les uruguayens ne finissent « frères contre frères ».[1] Sur le plan écologiste, ses compromissions avec les secteurs dominants en faveur de la croissance à tout prix se traduiront par un soutien sans faille à l’installation de Botnia (aujourd’hui UPM) jusqu’à provoquer un conflit avec l’Argentine des Kírchner. (…)

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