Hugo Blanco, l’écosocialiste péruvien (traduction d’un entretien de Plaza Tomada pour Ballast)

« Bien sûr que je suis écosocialiste, comme le sont les peuples indigènes — même s’ils n’utilisent pas ce terme. » Hugo Blanco est l’une des figures de la lutte pour l’émancipation au Pérou. Dans les années 1960, il joue un rôle important dans la mobilisation révolutionnaire des paysans indigènes contre le régime agraire dominant vieux de quatre siècles — le latifundisme.


Au cours d’une action d’autodéfense, un policier est tué ; arrêté, Blanco est condamné à la peine capitale. Défendu par Amnesty International, Sartre et de Beauvoir, il vivra en exil dans les années 1970 : au Mexique, en Argentine, au Chili puis, au lendemain du coup d’État contre Allende, en Suède. De retour chez lui, il intègre la Confédération paysanne et devient député, puis sénateur sous les couleurs d’Izquierda Unida — une coalition d’organisations de gauche. Âgé de 86 ans, il réside actuellement en Suède, retiré de la « vie politique ». Le mois dernier, à l’occasion de la projection d’un documentaire retraçant son parcours, l’extrême droite péruvienne a mené campagne contre lui. Nous traduisons un entretien paru dans son pays natal : il revient sur sa vie de militant.

Hugo Blanco, tierra o muerte: artículo en español aquí

Voir également: Solidarité avec Hugo Blanco et Malena Martínez Cabrera / Communiqué du Comité de Solidarité avec Cajamarca de Paris et de l’association France Amérique Latine / 28 juin 2020 ici

Parlez-nous de votre vie : avez-vous été paysan ou étudiant ?

Ma mère était une petite propriétaire terrienne et mon père était avocat. Il avait un frère qui étudiait à La Plata [en Argentine]. Comme j’aimais la campagne, j’y ai aussi fait des études d’agronomie. Mon père a payé. Mais comme le dit Eduardo Galeano, je suis né deux fois : la première, c’est quand je suis venu au monde ; la seconde, c’est, enfant, quand j’ai appris qu’un propriétaire terrien avait marqué au fer chaud les fesses d’un indigène1. Ça a eu un grand impact sur moi, ça a marqué ma vie. Quand j’avais 13 ans, nous étions trois frères — l’un avait 19 ans, l’autre 17. J’étais le seul à être libre : eux, ils ont été arrêtés en tant qu’apristes [du parti péruvien anti-impérialiste APRA]. L’APRA et le Parti communiste ont été persécutés. Ça m’a également choqué. J’étais enclin à me tourner vers les indigènes parce que la révolution de 1910, au Mexique, a influencé Cuzco [ville du sud-est du Pérou]. Puis je suis allé en Argentine. Il y avait là une réalité ouvrière. Parmi les lycéens, il y avait un groupe d’étude au sein duquel nous avons lu Haya de la Torre, Mariátegui et Gonzáles Prada — dans un tel désordre. Nous voulions qu’un étudiant de l’université nous guide mais, bien sûr, ils étaient méfiants à l’idée de nous parler : comme l’APRA et le PC étaient particulièrement persécutés, on aurait pu les livrer sans le vouloir… Puis je suis passé par la Bolivie et il y avait beaucoup de littérature révolutionnaire. Je ne le savais alors pas, mais, en 1952, il y a eu une révolution là-bas, au cours de laquelle un gouvernement militaire a été renversé.

Qu’est-il arrivé à votre carrière d’agronome ? Vous l’avez abandonnée ?

Pas tout de suite. Je voulais rejoindre une organisation de gauche. […] Je me suis donc mis à la recherche d’une organisation et c’est ainsi que j’ai rencontré les trotskystes péruviens : on m’a présenté des militants du parti trotskyste argentin. Je les ai rejoints. Le coup d’État pro-impérialiste contre Perón était en pleine préparation — par les Nord-Américains [il sera renversé en septembre 1955]. La classe moyenne a soutenu ce coup d’État. Je ne me sentais plus à ma place à l’université. Voilà pourquoi j’ai décidé de la quitter et de partir comme ouvrier à l’usine de conditionnement de viande de Berisso, près de La Plata.

Combien de temps êtes-vous resté là-bas ?

Environ trois ans. Et je suis rentré. À cette époque, l’idée, c’était que le prolétariat était l’avant-garde, et comme il n’y avait pas de prolétaires à Cuzco, je suis allé à Lima pour être dans les usines. Je suis entré dans une usine textile, mais je m’étais habitué à travailler dans de grandes usines, avec 5 à 10 000 ouvriers. Ici, l’un était le filleul du patron, l’autre le neveu du contremaître — et il n’y avait pas de syndicat ! Impossible d’en former un. J’ai donc quitté l’usine textile pour aller dans une usine de métallurgie, mais elle était tout aussi petite. Alors je suis allé à Chanchamayo [au centre du Pérou] pour apprendre la soudure puis je suis retourné à Lima, où j’ai finalement trouvé une usine dotée d’un syndicat. Une usine d’huile Friol. J’y ai travaillé mais Nixon, qui était alors vice-président des États-Unis, est venu au Pérou : avec plusieurs petits groupes de gauche, qui ne comptaient ni le PC, ni l’APRA, nous avons préparé une contre-manifestation. Elle a été bien plus importante que ce que nous avions imaginé. La répression s’est abattue ; j’ai dû quitter l’usine et aller à Cuzco. (…)

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