Malgré la déforestation en Amazonie, l’Europe veut signer le traité avec le Mercosur ( Lorène Lavocat / Reporterre)
En discussion depuis 1999, l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays membres du Mercosur, le marché commun sud-américain, pourrait entrer en vigueur avant la fin de l’année 2020. Au prix de conséquences écologiques majeures, notamment la déforestation.
Il serait «le principal accord commercial jamais conclu» par l’Union européenne : après vingt ans de négociations souvent houleuses, l’Europe s’apprêterait à signer un nouveau traité de libre-échange avec le plus grand marché commun d’Amérique latine — le Mercosur, réunissant le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay. C’est ce qu’a annoncé Phil Hogan, commissaire européen au Commerce : «Nous avons terminé le nettoyage juridique et nous sommes maintenant dans la phase de traduction, que nous terminerons en octobre», a-t-il indiqué, lundi 6 juillet, à quelques eurodéputés. En clair : la ratification, étape finale avant l’entrée en vigueur de l’accord, pourrait avoir lieu avant fin 2020.
Ce traité, qui s’appliquerait à plus de 770 millions de personnes de part et d’autre de l’Atlantique, entre ainsi dans sa dernière ligne droite. Une fin de course cependant semée d’obstacles, car le texte a suscité une levée de boucliers. «L’accord est anachronique dans ses principes même, observe Maxime Combes, économiste et porte-parole d’Attac. En 1999, quand ont débuté les discussions, le réchauffement climatique et la crise écologique n’étaient pas une préoccupation majeure : le mandat de la Commission européenne, qui a négocié l’accord, n’évoquait ni le climat ni la biodiversité». Résultat, deux décennies plus tard : le chapitre «commerce et développement durable», qui contient des dispositions contre la déforestation ou pour le respect de l’Accord de Paris, est la seule partie du traité non contraignante. «Aucun mécanisme de sanction n’est prévu si une des parties ne respecte pas ses engagements environnementaux et sociaux», résume Samuel Leré, de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme (FNH).
Des voitures contre de la viande de bœuf
Au contraire, les chapitres commerciaux — le cœur du traité — s’appliqueront obligatoirement, sous peine de sanction, à tous les pays. Et cette partie-là n’est pas du gâteau. «Cet accord supprimerait plus de 91% des droits de douane sur les échanges entre les deux zones, expliquaient la Fondation Nicolas Hulot et l’Institut Veblen dans un rapport d’analyse publié l’an dernier. Il devrait favoriser les exportations des entreprises européennes dans les secteurs de l’automobile, la chimie, la pharmacie, l’habillement et leur offrir un accès accru aux marchés publics des États du Mercosur.» Les entreprises sud-américaines bénéficieraient pour leur part de plus larges débouchés sur le marché européen pour leur production agricole (bœuf, volaille, sucre/éthanol…). D’où le petit surnom de l’accord, présenté comme «cars for cows» (voitures contre bœuf).
Voyez plutôt : les véhicules (aujourd’hui taxés à hauteur de 35%) mais aussi les produits chimiques et pharmaceutiques européens entreraient sans droits de douane dans les pays du Mercosur. Dans l’autre sens, 99.000 tonnes de viande bovine, 180.000 tonnes de volaille, 650.000 tonnes d’éthanol (issu de la canne à sucre) pourraient franchir les frontières de l’Europe sans être taxées. «En comparaison, le Ceta [l’accord entre l’UE et le Canada] prévoit des contingents deux fois moins importants pour la viande bovine et exclut la viande de volaille», explique le rapport de la FNH.
Ces volumes impressionnants inquiètent particulièrement agriculteurs et défenseurs de l’environnement. Lundi 29 juin, 256 organisations — environnementales, paysannes ou de défense des droits humains — ont signé une lettre commune appelant au rejet du traité : «L’UE exige un meilleur bien-être animal et est dotée de normes sanitaires supérieures à celles du Mercosur, ce qui rend la production agricole plus coûteuse au sein de l’UE, écrivaient-elles. Cet accord va permettre un plus grand accès aux viandes bon marché sur les marchés européens, créant de la sorte une pression à la baisse sur les prix à la production agricole des deux côtés de l’Atlantique.» Autre crainte : un certain nombre de pesticides, d’OGM ou de pratiques d’élevage (l’usage d’antibiotiques activateurs de croissance, par exemple), interdits en Europe mais autorisés en Amérique latine, pourraient parvenir sur le vieux continent — «incorporés» à des produits agricoles — à la faveur du traité. (…)
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