Mort de Louis Joinet, un épris de justice (Frantz Vaillant / TV5Monde)
La grande famille des droits humains est en deuil : Louis Joinet est décédé ce dimanche 22 septembre 2019 à l’âge de 85 ans. Du Chili à l’Uruguay, de l’Iran à l’Algérie, de Haïti à Paris, ce fin juriste, fondateur du syndicat de la magistrature, n’aura eu de cesse, sa vie durant, que de rendre justice aux victimes de tortures ou de “disparitions forcées”. Son existence toute entière restera un modèle d’engagement humaniste.
Lire le communiqué de FAL ainsi que d’autres hommages à la mémoire de Louis Joinet
À Nevers, Madame Denise, coiffeuse
Né à Nevers en 1934, ce fils d’épicier restera marqué par deux épisodes au cours de son enfance. En 1944, la guerre connait un tournant. Les Allemands continuent de traquer juifs et maquisards. Son père, résistant, lui demande de garder le silence sur les armes planquées dans un coin de la maison. Mais la ville est bientôt soumise à d’intenses bombardements. Et Louis Joinet, jeune scout, se porte volontaire pour déblayer les gravats. Contre toute attente, ces bombardements qui dévastent des quartiers entiers, ne sèment pas la consternation chez ses parents.
“Moi, je n’arrivais pas à comprendre que mes parents souhaitent la venue des Américains qui nous bombardaient. J’avais du mal à comprendre qu’on nous bombarde pour notre bien” dira-t-il avec un solide goût du paradoxe.
Plus traumatisant pour son jeune esprit, le sort que la foule réserve à madame Denise, sa coiffeuse, qui se retrouve rasée en place publique parmi les rires d’une foule surexcitée. On reproche à la malheureuse d’avoir eu une “aventure” avec un soldat Allemand.
Louis regarde ce déferlement de haine et cette joie méchante avec stupéfaction. “Trente ans après, j’ai donc très vite pris mes distances quand le thème douteux d’une justice “populaire” refit surface en Farnce, jusque chez mes amis de tendance maoïste. Non merci, j’y avais goûté, à cette “justice” expéditive, sans procédure ni confrontation. J’en avais été vacciné en cette journée où Nevers se “lâchait”. écrira-t-il dans “Mes raisons d’Etat” (La découverte éditeur).
Premier éducateur de rue en France
En 1952, il décroche son bac grâce à un formidable culot lors de l’oral. Le prof n’a pas pensé à vérifier le sujet que Louis a tiré et qu’il a malicieusement glissé dans sa poche.Le candidat en profite. Il débite d’une traite le seul sujet qu’il sait par cœur !
Son bac en poche, il débarque à Paris en 1952 et voit un jour une affichette “Éducateur de rue : pourquoi pas ? “Oui, pourquoi pas ? Hubert Flavigny, psychiatre novateur, entend réformer les pratiques sanitaires vis à vis des délinquants. Pour Louis, c’est une révélation. Il devient l’un des premiers éducateurs de rue, en prise directe avec les fameux “blousons noirs ” qui sévissent dans la capitale. Il apprend à bien comprendre le cheminement très complexe de ces jeunes que l’on dit perdus et qu’il va sauver régulièrement, n’hésitant pas à ouvrir la porte de son domicile pour les héberger. “Je vivais dans la rue avec les bandes, ce qui est une expérience extraordinaire pour un futur magistrat, bien que je ne savais pas encore que je le serai un jour. C’était très violent […] Mais quand vous arrivez à avoir leur confiance, c’est extraordinaire ce qu’on peut arriver à faire. Mais je ne me doutais pas à l’époque, que je m’engagerai plus tard dans la défense des droits de l’homme.” (…)
Disparitions forcées – 10ème anniversaire de la convention – Louis Joinet (février 2017)