🇨🇱 Victoire de l’extrême droite au Chili : comment en est-on arrivé là ? / El termidor chileno (Marcelo Casals / Jacobin / Traduction par Robert March – Contretemps / fr-esp)


La victoire de l’extrême droite aux élections du Conseil constitutionnel pourrait sonner le glas de toute perspective d’une constitution progressiste au Chili. Il s’agit également d’un vote sanction pour la gauche de Gabriel Boric au pouvoir. Éléments d’analyse avec l’historien Marcelo Casals.

Le fondateur du Parti Républicain (extrême droite), José Antonio Kast, s’adresse à la presse à la suite de la victoire de ses candidats lors des élections au Conseil constitutionnel à Santiago le 7 mai 2023. (Javier Torres / AFP via Getty Images)

L’extrême droite chilienne a remporté une victoire majeure lors des élections de la nouvelle Assemblée constituante, éteignant pratiquement tout espoir d’une nouvelle constitution progressiste au Chili. Les résultats de ces élections à ce Conseil nouvellement rebaptisé « Conseil constitutionnel » auraient été impensables il y a encore quelques années.


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Dans cette deuxième tentative de rédiger une nouvelle constitution, le Conseil est cependant toujours investi par le peuple d’un mandat pour remplacer la Carta Magna imposée par la dictature d’Augusto Pinochet en 1980. Mais, fortement marqué à droite, il traduit un changement radical dans la politique chilienne par rapport à octobre 2019, lorsque le pays s’était soulevé contre le gouvernement néolibéral de Sebastián Piñera.

Le Conseil nouvellement formé comptera cinquante et un sièges, dont vingt-trois seront détenus par des représentants du Parti Républicain d’extrême droite, onze par la droite traditionnelle et seulement seize par la gauche (outre un représentant des peuples indigènes). Autant dire que ces résultats sont un désastre électoral aux proportions historiques pour la gauche chilienne – le seul précédent comparable étant le rejet du projet de Constitution lors du plébiscite national de 2022.

La victoire de l’extrême droite paraît d’autant plus paradoxale si l’on tient compte de sa fidélité historique à la dictature et de son « héritage ». En fait, le Parti Républicain, associé au récent candidat à la présidence José Antonio Kast, s’est toujours opposé avec force à toute modification de la constitution actuelle.

Ainsi, l’extrême droite a désormais toutes les cartes en main, et l’adoption d’une nouvelle constitution dépend de ses votes. Plus décourageant encore, le projet en est rédigé par un « Comité d’experts » technocratique, nommé lui-même par un Congrès National dirigé par la droite. Comment le Chili en est-il arrivé là ?

Le pire échec

Malheureusement, la défaite a été constante pour la gauche chilienne au cours des derniers mois. La tentative ratée de rédiger une nouvelle constitution, dirigée par une Convention constituante dominée par la gauche, en a été la première manifestation. Et le plébiscite constitutionnel du 4 septembre 2022 restera dans les mémoires comme l’une des défaites électorales récentes les plus sévères que la gauche ait subies. Avec un taux de participation historique dû à une nouvelle règle rendant le vote obligatoire, une écrasante majorité de Chiliens (61,82 %) a rejeté la proposition de Constitution progressiste que la convention avait élaborée depuis juillet 2021.

Chez les partisans du « J’approuve », la réaction a d’abord été un choc et de la confusion. À ce jour, il n’y a toujours pas d’explication convaincante à un désastre électoral de cette ampleur, le projet de constitution n’ayant remporté qu’un maigre 38,15 % des voix. Ce score, combiné à la montée en puissance électorale de l’extrême droite lors des récentes élections au Conseil, devrait déclencher les alarmes.

Pour de nombreux dirigeants et intellectuels du camp progressiste, la raison de cette défaite en 2022 réside dans la campagne de communication de la droite. De leur point de vue, les citoyens ont été trompés par une « campagne de terreur » et par des fake news diffusées dans les principaux médias et sur les réseaux sociaux. Pour eux, si le projet constitutionnel a déraillé c’est en raison de l’incapacité des citoyens chiliens à comprendre ce qu’aurait signifié cette grande constitution féministe, écologiste et indigéniste, seule à même de remédier aux maux d’une constitution conçue pendant la dictature militaire de Pinochet (1973-1990) et en vigueur pour l’essentiel depuis 1990. Si dans les semaines à venir les dirigeants de la gauche devaient répéter ces mêmes arguments ce serait une grave erreur.

Hormis quelques autocritiques concernant les modalités de la convention, la gauche chilienne n’a pas encore réalisé un bilan politiquement productif de sa défaite. Aujourd’hui, avec la victoire éclatante de l’extrême droite dans le nouveau Conseil, il est plus urgent que jamais de faire la clarté sur les erreurs commises.

L’explosion

L’une des choses les plus difficiles à digérer dans les défaites de septembre 2022 et mai 2023 est que la période politique actuelle, ouverte avec le soulèvement d’octobre 2019, aurait dû être extrêmement favorable à un programme anti-néolibéral. En ce mois d’octobre, des manifestations sociales massives et spontanées avaient éclaté, les plus importantes depuis les années 1980. Des millions de citoyens sont descendus dans la rue déterminés à rejeter l’humiliation collective que leur infligeait le gouvernement conservateur du multimilliardaire Piñera.

La décision du gouvernement d’augmenter le tarif du métro à Santiago a pu en être l’étincelle, mais en quelques jours de manifestations il est devenu clair que les revendications – nombreuses et diverses – portaient toutes sur les inégalités structurelles produites par trente années de néolibéralisme.

Le « soulèvement social » de 2019 a été l’aboutissement d’une vague croissante de mobilisations qui avait commencé avec les manifestations étudiantes de 2011 – si ce n’est avant – auxquelles ont succédé dans les années suivantes différents mouvements sociaux mettant en cause le système de sécurité sociale privatisé au Chili ; une centralisation administrative excessive dans la capitale du pays ; la déprédation environnementale des entreprises transnationales (et nationales) ; les déficiences du système de santé publique du pays ; et les inégalités omniprésentes entre les sexes, combattues par les mouvements féministes et de jeunesse, entre autres.

Ce n’est pas un hasard si toutes ces revendications ont convergé vers l’exigence d’une nouvelle constitution. Submergés par les manifestations, le Congrès et le gouvernement conservateurs ont finalement été contraints de reconnaître la faillite de leur modèle politique et économique, et d’engager un processus de changement constitutionnel sans précédent, que même le début de la pandémie de COVID-19 en mars 2020 n’a pas pu stopper.

Pour quelque temps encore, la situation semblait favorable à la gauche. En octobre 2020, le plébiscite pour ratifier l’engagement du processus constitutionnel a été approuvé à 78,28 %. Par ailleurs, le scrutin de mai 2021 pour la Convention constituante a élu une majorité hétérogène de députés indépendants : activistes indigènes, féministes et écologistes, mais aussi intellectuels et militants des partis de gauche et de centre-gauche. La droite, en revanche, n’a pas réussi à franchir le seuil du tiers des députés de la Convention qui lui aurait permis de disposer du droit de veto.

Parallèlement, alors que la Convention délibérait en novembre et décembre 2021, le militant de gauche et ancien leader étudiant Gabriel Boric a remporté l’élection présidentielle. Cette séquence semblait sanctionner la fin de l’hégémonie politique des deux grands blocs de centre-gauche et de droite qui avaient exercé le pouvoir pendant trois décennies depuis la fin de la dictature. (…)

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Chili : retour sur les résultats et les enseignements de l’élection du Conseil constitutionnel (vidéo du webinaire organisé dans le cadre de l’Observatoire électoral de l’Amérique latine de l’IRIS)
– Chili : une indécente parodie de «processus constituant» (Pierre Derdot / Cerises – La Coopérative)
– Chili. Élection du Conseil constitutionnel : l’extrême-droite en force (Christophe Ventura / Chroniques de l’Amérique latine / IRIS)
– Constituante au Chili: avec la victoire de l’extrême-droite, «un cycle politique semble se refermer» (Entretien avec Franck Gaudichaud / Marion Cazanove / RFI) /  Grand écart politique au Chili (RTS)
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