🇫🇷 Zad en Guyane française : « Nous ressentons la déforestation dans notre chair » (Gaspard d’Allens et NnoMan Cadoret / Reporterre)
Opposé à une immense centrale électrique en Guyane, qui rasera des hectares de forêt, un peuple a créé la première « zone autochtone à défendre ». Pour ses représentants, c’est une « question de survie ».
Une délégation autochtone guyanaise s’est rendue en France métropolitaine pour partager son combat contre une mégacentrale électrique qui menace une centaine d’hectares de forêt amazonienne dans le village de Prospérité, près de Saint-Laurent-du-Maroni. Après avoir lancé une occupation du chantier et fait reculer les machines, la population kali’na exige désormais « le déplacement du projet ». Elle se dit prête « à aller jusqu’au bout » pour défendre d’autres manières d’habiter la Terre, et combattre dans un même élan le colonialisme et la crise écologique.
Reporterre a rencontré deux membres de cette délégation au cours de leur passage à Paris, le chef coutumier Roland Sjabere et le porte-parole de la Jeunesse autochtone de Guyane, Christophe Yanuwana Pierre.
Reporterre — Vous dites avoir créé la première « zone autochtone à défendre » (zad), qu’entendez-vous par cette expression ?
Roland Sjabere et Christophe Yanuwana Pierre — C’est un clin d’œil envoyé aux médias, aux politiques et à nos alliés en France. Nous utilisons vos références pour montrer notre détermination. Vous devez comprendre que nous sommes décidés à défendre nos terres et à mener une résistance forte si ces dernières sont menacées. Les promoteurs du chantier s’attendaient à ce que l’on s’indigne uniquement avec la bouche et la parole. Ils croyaient que nous, peuples autochtones, étions faibles, incapables de nous soulever. Nous leur avons montré le contraire. Nous nous sommes opposés physiquement avec nos bras, nos corps, nos enfants, nos familles et nous avons réussi à faire reculer les machines.
Quelle relation tissez-vous avec cette forêt ?
Ces terres sont notre espace de vie, de pêche, de chasse et de cueillette. Nous y vivons, nous y connaissons chaque recoin, ruisseau et arbre. Les enfants y jouent et s’y baignent. C’est un lieu d’apprentissage et de spiritualité. La forêt fait partie intégrante de notre identité culturelle. Nous entretenons avec elle une relation intime. La forêt nous rappelle qui nous sommes, nous les Kali’na, en tant que peuple, elle transmet à nos enfants notre vision du monde. Elle subvient à nos besoins et nous permet de vivre en paix. Nous trouvons grâce à elle la sécurité et l’épanouissement.
Nous avons tissé avec elle une forme d’alliance. Si elle est menacée, nous devons l’aider. C’est notre mission en retour du bonheur qu’elle nous offre. C’est une nécessité pour l’équilibre de notre communauté et notre civilisation. Nous ne pouvons pas vivre sans elle. Nous lui appartenons. En l’attaquant, les autorités nous ont porté directement atteinte.
C’est une première victoire même si le combat est inégal. Les autorités ont avec eux la police et l’administration, nous avons de notre côté nos savoirs ancestraux, notre lien à la Terre et notre amour pour le vivant. Ce sont des forces à ne pas sous-estimer. C’est cet héritage qui fait que nous sommes encore debout et que les jeunes générations reprennent le flambeau.
Quelle relation tissez-vous avec cette forêt ?
Ces terres sont notre espace de vie, de pêche, de chasse et de cueillette. Nous y vivons, nous y connaissons chaque recoin, ruisseau et arbre. Les enfants y jouent et s’y baignent. C’est un lieu d’apprentissage et de spiritualité. La forêt fait partie intégrante de notre identité culturelle. Nous entretenons avec elle une relation intime. La forêt nous rappelle qui nous sommes, nous les Kali’na, en tant que peuple, elle transmet à nos enfants notre vision du monde. Elle subvient à nos besoins et nous permet de vivre en paix. Nous trouvons grâce à elle la sécurité et l’épanouissement.
Le chef coutumier Roland Sjabere, à Paris le 6 décembre 2022. © NnoMan Cadoret / Reporterre
Nous avons tissé avec elle une forme d’alliance. Si elle est menacée, nous devons l’aider. C’est notre mission en retour du bonheur qu’elle nous offre. C’est une nécessité pour l’équilibre de notre communauté et notre civilisation. Nous ne pouvons pas vivre sans elle. Nous lui appartenons. En l’attaquant, les autorités nous ont porté directement atteinte.
Comment avez-vous réagi lors des premières coupes d’arbres ?
Cela a été très douloureux. 16 hectares ont déjà été rasés. Le sol a été retourné, les arbres arrachés. L’État et les entreprises privées agissent comme si cette terre était terra nullius [sans maître]. Un espace inhabité et vierge qui correspondrait à leurs préjugés. Ils n’envisagent pas de concertation avec les communautés locales. Ils bafouent nos droits et perpétuent les logiques coloniales qui ont tenté depuis des siècles de nous étouffer.
Nous ressentons la déforestation dans notre chair. Ils ont fait tomber plusieurs arbres sacrés, des arbres qui renferment énormément de charges spirituelles pour nous. La forêt est vivante. Elle a des sentiments, et aujourd’hui, elle porte en elle une profonde tristesse. Nous sommes assaillis de rêves. Les esprits de la forêt nous parlent et nous encouragent à nous défendre contre ces violences. Pour l’instant la forêt reste bienveillante, mais elle pourrait devenir hostile. Si elle est encore avec nous, c’est signe que nous remplissons notre mission.Mélissa Sjabere, membre de la Jeunesse autochtone de Guyane. © NnoMan Cadoret / Reporterre
Ce n’est pas la première fois que l’on attaque votre territoire…
Oui, il y a d’autres projets industriels auxquels nous devons faire face : des centrales à biomasse gigantesques, des sites d’orpaillage, des mines comme la Montagne d’or. À chaque fois, notre réaction est instinctive, nous ressentons le danger. Il est ancré en nous, dans notre histoire. On sent comme une menace qui plane. Nos territoires spirituels sont affectés. Évidemment, nous avons aussi de nombreux arguments juridiques et rationnels pour lutter contre ces projets aberrants, mais notre combat est nourri par bien d’autres choses, ancrées dans notre culture. Le monde nous parle et il faut apprendre à l’écouter. (…)
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Voir aussi : Guyane française. Vague de soutien après l’interpellation de quatre habitants du village Prospérité (France Info) (2 novembre 2022)