Les zapatistes naviguent vers l’Europe (Bernard Duterme / Le Soir)


À l’heure de la ratification d’un nouvel accord commercial entre l’Europe et le Mexique, une délégation de la rébellion indienne zapatiste du Chiapas se met en route vers l’Europe. Comme une sorte de « conquête inversée »…

par Bernard Duterme, directeur du Centre tricontinental (CETRI, Louvain-la-Neuve, www.cetri.be), auteur entre autres de «Zapatisme: la rébellion qui dure» (Paris, Syllepse, 2015).


C’est parti. La caravelle « La Montagne » a quitté la péninsule du Yucatán au Mexique pour rallier les côtes européennes. À bord, une délégation du mouvement zapatiste du Chiapas, baptisée « l’escadron 421 », car composée de quatre femmes, deux hommes et une personne transgenre, originaires de différentes ethnies mayas. Mission : « envahir » le continent européen pour y propager « le virus de la rébellion ». Une centaine d’autres indigènes zapatistes devraient les y rejoindre, par avion, au début de l’été. Avec, sans doute, la même gravité et la même ironie, caractéristiques de cette drôle d’insurrection.

Les rebelles du sud-est mexicain n’en sont pas à leur premier coup d’éclat, depuis ce 1er janvier 1994, il y a plus d’un quart de siècle, lorsque, vieilles pétoires à la main, ils déclarèrent la guerre au gouvernement du président Salinas et à son armée. Le jour même de l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique ! L’élan martial fit long feu, mais les zapatistes, désormais encagoulés « pour être reconnus » – l’un de leurs multiples paradoxes –, vont rester mobilisés contre vents et marées, pour « la liberté, la démocratie et la justice ».

Trois processus divergents bien que concomitants marqueront les premières années : des négociations erratiques entre les insurgés et le gouvernement ; une stratégie et des faits de harcèlement (para)militaire des autorités à l’égard des communautés rebelles ; et une succession de rencontres bigarrées avec la société civile nationale et internationale, à l’initiative des zapatistes.

Les trois options vont capoter. Ni le gouvernement ni le congrès n’appliqueront le seul accord signé avec les commandants mayas (à San Andrés en février 1996) sur le droit à l’autodétermination et le respect des cultures autochtones. La « guerre de basse intensité » menée parallèlement contre les villages zapatistes va affermir le mouvement plutôt que l’affaiblir. Et les diverses tentatives d’articuler les gauches mexicaines dans une nouvelle dynamique organisationnelle, à l’instigation du sous-commandant Marcos, porte-parole de la rébellion, vont crisper plus que charmer.

Une nouvelle épopée

Seul le Congrès national indigène (CNI), constitué en 1996 pour réunir à l’échelle du pays les peuples indiens en lutte contre l’exploitation et les discriminations dont ils sont l’objet, subsistera. Il fait d’ailleurs partie de cette nouvelle épopée annoncée dès octobre dernier qui va voir les délégations indigènes sillonner les cinq continents, en commençant par l’Europe – elles sont attendues dans plus d’une vingtaine de pays – et par Madrid… où l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) compte bien fêter à sa façon le 13 août prochain, les 500 ans de la prise de Mexico-Tenochtitlán par les troupes du conquistador Hernán Cortés.

Reconstruire un « autre monde »

Depuis près de deux décennies maintenant, les rebelles du Chiapas administrent au quotidien un régime d’« autonomie de fait », faute d’autonomie de droit, dans leurs zones d’influence, un territoire de la taille de la Belgique, mais très fragmenté politiquement. Ils tentent d’y construire « un autre monde », à distance du capitalisme et en rupture avec les différents registres de domination face auxquels leur nouvelle perspective émancipatrice s’est progressivement construite, au fil des circonstances.

Aspirations combinées à la reconnaissance et à la redistribution, à l’égalité hommes-femmes, au respect du vivant sous toutes ses formes, à l’intégration sans assimilation et à l’autonomie sans séparation, à la citoyenneté, à la libération et à la dignité… Le tout emballé dans la prose baroque du prolifique Marcos (rebaptisé sous-commandant Galeano en 2014), chacune et chacun de ce côté-ci de l’Atlantique peut y trouver sa saveur préférée. Parfois en négligeant les autres parfums, voire en conditionnant sa solidarité à leur abandon. Dans le meilleur des cas cependant, socialistes, féministes, libertaires, écologistes, démocrates, tiers-mondistes, chrétiens progressistes, décoloniaux, indianistes… convergent dans leur intérêt pour la cause zapatiste. (…)

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Voir également
– Les zapatistes viennent en Europe raviver les braises de la rébellion (Reporterre)
« L’invasion zapatiste » commence ! (Jérôme Baschet / Lundi Matin)
– Mexique. Caravane zapatiste : en route vers l’Europe… (Commission Sexta de l’EZLN / Enlace zapatista)
– La route pour la vie ! Collecte de fonds pour la venue des zapatistes (texte et vidéo de Primitivi)
– Déclaration commune d’une partie de l’Europe d’en-bas et de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale
– Nouvelles zapatistes: un voyage aux cinq continents (Julia Arnaud et Espoir Chiapas / Revue Ballast)