Colombie : « En Arauca, nous avons subi la dureté de la guerre sous toutes ses formes » (Collectif Projet Accompagnement Solidarité Colombie -PASC /Colombia Informa)


Arauca, un département situé dans l’est du pays, est connu pour compter plusieurs projets miniers et énergétiques, en plus de présenter l’un des ratios soldats / habitants les plus élevés au pays. Arauca compte également un large éventail d’organisations sociales et populaires qui ont historiquement lutté pour la permanence du territoire. Ces derniers jours, cette région a été le théâtre d’affrontements entre l’Armée de libération nationale (ELN) et les dissidents des FARC, ce qui a déclenché une situation d’urgence humanitaire qui compte maintenant 27 morts ainsi qu’un nombre indéterminé de détenu.e.s et de personnes déplacées. 

Colombia Informa | Photo : Trochando sin Fronteras

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La fondation de droits humains Joel Sierra a été la première organisation à tirer la sonnette d’alarme sur cette situation et accompagne depuis lors les communautés. Nous avons parlé avec Sonia López, représentante de cette fondation, du contexte qui entoure le département et qui transcende la situation actuelle. 

Colombia Informa (CI) : De nombreux médias ont attribué l’urgence humanitaire dans l’Arauca aux affrontements entre l’ELN et les dissidents des FARC. Quels autres éléments contextuels vous semblent pertinents pour comprendre ce qui se passe ? 

La Colombie se développe dans le cadre d’une dynamique sociale, politique et économique internationale déterminée par le mode de production capitaliste. Cette dynamique a attribué des tâches spécifiques pour chaque pays en fonction des intérêts d’accumulation qu’il représente ; le nôtre s’est vu attribuer la tâche de fournisseur de matières premières. En ce sens, nos territoires sont devenus une cible prisée pour le pillage et la spoliation des ressources naturelles. Pour atteindre cet objectif d’accumulation capitaliste, l’État colombien — servile aux empires étrangers — a déclenché une stratégie d’agression contre le peuple colombien, ses organisations sociales et les Plans de vie qu’ils mettent en branle. 

Arauca présente un certain nombre de caractéristiques particulières : au premier rang, sa richesse en ressources naturelles (pétrole, eau et biodiversité), qui sont attrayantes pour le capital national et étranger. Ensuite, sa frontière avec la République bolivarienne du Venezuela, qui fait de notre territoire une zone géostratégique dans le contexte de la guerre impérialiste et de ses plans interventionnistes contre notre pays frère. Face à de telles agressions, le mouvement social et populaire d’Arauca dispose d’un tissu social historique qui a su résister et matérialiser son Plan pour la vie sous le slogan de la défense de la vie et de la permanence sur le territoire. Pour ce simple fait, nous avons été stigmatisé.e.s, persécuté.e.s et criminalisé.e.s, puis considéré.e.s par l’État colombien comme des « ennemis intérieurs » dans le cadre de sa doctrine de sécurité nationale.

CI : Comment cette situation s’est-elle traduite dans la vie quotidienne des communautés de la région et dans leur projet collectif d’habiter le territoire de manière permanente ?

Ici, nous avons subi la dureté de la guerre sous toutes ses formes : d’une part, il y a la négligence historique de l’État en matière d’investissements sociaux, au point que ce qui existe aujourd’hui dans le département d’Arauca en termes d’infrastructures sanitaires, de routes ou d’éducation, est uniquement le produit des campagnes de mobilisation sociale qui ont amené l’État à réaliser ces dits investissements. D’autre part, nous avons été identifié.e.s par l’État colombien comme un laboratoire de guerre, où différentes stratégies d’une prétendue lutte anti-insurrectionnelle, antiterroriste et antidrogue ont entre autres été mises en œuvre ici. 

Ils nous ont stigmatisé.e.s, ils nous ont déclaré.e.s « zone de réhabilitation et de consolidation », ils ont voulu consolider le projet paramilitaire, avant d’appliquer les différentes phases de fumigation aérienne et de militarisation dans le cadre du Plan Colombie. Ils nous ont massacré.e.s, ils ont développé l’axe des exécutions extrajudiciaires avec plus d’une centaine de cas documentés et dénoncés. 

Nous avons été massivement et sélectivement poursuivi.e.s et emprisonné.e.s ; de 2002 à aujourd’hui, au moins 353 camarades ont été poursuivi.e.s et/ou emprisonné.e.s, soit une moyenne de 18 dirigeant.e.s, leaders communautaires et défenseur.euse.s des droits humains par an. À cela s’ajoutent les conséquences du conflit armé qui, au cours de l’année 2021, a fait au moins 150 assassinats ciblés, personnes détenues et d’autres blessées, sans mentionner la dépossession des biens civils.

Près de quarante ans d’exploration et d’exploitation pétrolière n’ont pas été compensés en termes de vie digne pour les habitants et habitantes d’Arauca. Au contraire, nous faisons face à une catastrophe sociale, humanitaire, économique et environnementale. Les sociétés pétrolières sont directement responsables du financement de cette guerre et du processus de criminalisation du mouvement social. 

Nous avons dénoncé le financement des forces de sécurité privée et des structures de soutien par le ministère public. Ces milices sont responsables de l’élaboration et de l’exécution des montages judiciaires contre les dirigeants sociaux et les dirigeantes sociales, ainsi que les défenseurs et défenseuses des droits humains. En plus de financer le bureau du procureur, la police et l’armée par le biais d’accords de coopération, les compagnies pétrolières se sont autoproclamées comme « victimes » dans les procédures pénales contre les dirigeant.e.s qui ont été poursuivi.e.s.

Cette situation tend à s’aggraver avec la mise en œuvre de nouveaux projets pétroliers à Saravena, Arauquita, Tame et Fortul, qui coïncident avec la formation des soi-disant zones stratégiques d’intervention intégrale ou zones futures. Cette opération n’est rien d’autre que la poursuite du Plan Colombie et de son projet militariste, dont la principale composante est de nature militaire. L’objectif est de nettoyer l’image des forces de sécurité, qui ont été discréditées par plus de 6402 cas d’exécutions extrajudiciaires et de massacres dans le cadre des mobilisations. 

CI : Quelle est la responsabilité du gouvernement national dans ce qui se passe actuellement à Arauca ? 

L’État est le seul responsable de la garantie des droits humains. Par conséquent, dans la situation qui prime au niveau national et régional, le gouvernement, en tant que représentant de l’État, est autant responsable par ses actions que par ses omissions. D’une part, il ne garantit pas les conditions minimales de subsistance à la majorité des Colombien.ne.s, comme le démontrent les taux faramineux de pauvreté, de pauvreté extrême et de chômage. D’autre part, il a développé des stratégies de criminalisation qui ont porté atteinte à la vie, à la liberté et à l’intégrité des personnes, des peuples et des territoires. 

Face au conflit armé, l’État n’a pas eu la volonté de respecter le minimum convenu dans le cadre de l’accord de paix. Il n’a pas non plus respecté les accords conclus avec le mouvement social dans le cadre des différentes mobilisations et espaces de dialogue. (…)

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