🇦🇷 Argentine : la doctrine Milei un an après (David Copello / Le Grand Continent)


Le style Milei vient-il de connaître une inflexion ? Dans un discours diffusé à la nation, un an jour pour jour après sa prise de fonction et entouré de ses ministres, le président argentin s’est éloigné de son ton habituel. Au-delà du bilan détaillé point par point, il pose aussi un cap et des objectifs détaillés pour l’Argentine dans les années à venir qu’il convient d’étudier attentivement. Nous le traduisons et le commentons ligne à ligne.

AP Photo / Natacha Pisarenko

Un an jour pour jour après son investiture, le président argentin Javier Milei dresse un premier bilan de son action dans un discours multi-diffusé sur les radios et télévisions du pays.

Par rapport aux usages pour ce type de discours présidentiel, la mise en scène diffère quelque peu. Le président Milei ne se présente pas seul face aux caméras : il est entouré de la plupart de ses ministres et de quelques hauts fonctionnaires gouvernementaux. Cette mise en scène vise à transmettre une image d’unité et de discipline. 

D’unité, d’abord. Alors que le président continue d’être perçu comme un personnage impulsif et colérique, la présence de ses ministres permet de mettre en avant le caractère collégial et partagé des politiques drastiques mises en œuvre par le gouvernement au cours de l’année écoulée. Transmettre cette image d’unité apparaît d’autant plus nécessaire qu’on a assisté, au cours de l’année, à un turnover massif au sein des ministères — avec le remplacement d’une centaine de figures gouvernementales si l’on tient compte des hiérarchies équivalentes au poste de sous-secrétaire d’État.

De discipline, ensuite. Le gouvernement ne comptant qu’une minorité de membres du parti présidentiel La Libertad Avanza, il paraît d’autant plus fondamental de mettre en scène le caractère incontestable du leadership présidentiel. De fait, le président argentin est parvenu à recruter, au sein d’administrations clefs, des cadres issus de l’ensemble du spectre partisan argentin, allant du péronisme à la droite, avec pour répercussion un processus de division de l’opposition en factions.

Chers Argentins, je voudrais commencer par vous remercier tous. Merci de m’avoir fait l’honneur d’être le président de cette grande nation et merci d’avoir supporté, comme vous l’avez fait, les mois difficiles que nous avons connus au début de notre administration. Je voudrais remercier tout particulièrement les Argentins malmenés par l’injuste Caste, ceux qui ne vivent pas aux crochets de l’État, les salariés ou ceux qui cumulent deux emplois pour subvenir aux besoins d’une famille, tous ceux enfin qui luttent inlassablement chaque jour. En un mot, je veux remercier les Argentins ordinaires, qui ont été traités comme des citoyens de seconde zone pendant des décennies et à qui nous voulons aujourd’hui redonner la place qu’ils méritent. Le sacrifice que vous avez consenti est émouvant. Je vous assure qu’il ne sera pas vain.

Un an après son investiture, Javier Milei continue de s’adresser à son public en tant que leader partisan, en mobilisant un registre de discours agonistique. Son propos distingue ainsi les « bonnes gens » et la « Caste », terme qui vise à vilipender les politiciens et politiciennes traditionnels autant que les personnes bénéficiant de prestations sociales. D’entrée de jeu, la prise de parole du président prend donc des tonalités offensives.

Le président Menem a dit un jour que le courage d’un peuple se mesure à la quantité de vérités qu’il est prêt à supporter.

Le président Milei s’inscrit d’emblée dans l’héritage de son prédécesseur Carlos Menem. Péroniste, celui-ci a dirigé l’Argentine entre 1989 et 2009. Son mandat est marqué par une réforme massive de l’État, impliquant de multiples privatisations d’entreprises publiques, et la mise en place de la « convertibilité », une politique monétaire instaurant une parité du peso et du dollar. Ces politiques s’accompagnent de retentissantes affaires de corruption et d’une accélération de l’endettement, dont la crise sociale, économique et politique de 2001 constituera l’un des corollaires.

Lorsque je suis arrivé à la présidence, il y a exactement un an, j’ai prévenu que pour sortir le pays de la misère dans laquelle la Caste nous avait plongés, il faudrait un passage douloureux, pire encore que celui que l’Argentine connaissait déjà. C’était une véritable épreuve de vérité. Vous avez répondu présent, en supportant cette vérité et en avalant la pilule amère la tête haute, malgré tout ce que vous aviez déjà perdu. Un proverbe dit que « les bons moments créent des hommes faibles, que les hommes faibles créent des moments difficiles, que les moments difficiles créent des hommes forts, et que ce sont les hommes forts qui créent les bons moments ». Cette année, les Argentins ont montré qu’ils étaient des hommes et des femmes forts, forgés dans la chaleur des temps difficiles. Nous avons montré que, lorsqu’un peuple touche le fond de l’abîme, l’urgence d’entreprendre des changements profonds et irréversibles nous transforme en véritable force de la nature.

Javier Milei fait ici référence — encore que de manière très allusive — à une série d’indicateurs économiques et sociaux qui constituent — à côté de la baisse de l’inflation sur laquelle il s’étendra, sans surprise, davantage — des éléments centraux de son bilan actuel. En un an, le taux de pauvreté a bondi de 40 à près de 53 %, le taux d’indigence de 12 à 18 %, et la récession s’est aggravée, passant de –1,3 % en 2023 à des prévisions de –3,8 % en 2024. Ce bilan est malgré tout assumé, et revendiqué comme une potion amère forgeant le caractère. Le tout est accompagné d’une valorisation d’ordre masculiniste de la « force », dans laquelle on retrouve l’opposition doctrinaire de Milei aux politiques étatiques de lutte contre les stéréotypes et inégalités de genre. (…)

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Javier Milei en vivo en su discurso por el primer año como presidente de Argentina (El País / esp.)

El País (España)

Voir également :
Adolfo Pérez Esquivel, prix Nobel de la paix : « La cruauté du gouvernement de Javier Milei est le reflet de sa déshumanisation » (Tribune / L’Humanité)
Un an de Javier Milei (revue de presse)
Après un an sous Milei, l’Argentine dans un état catastrophique (Tribune de l’Assemblée des citoyens argentins en France – L’Humanité / Stéphane Ortega – Rapports de force)