Honduras, les défis de Xiomara Castro après la victoire de la gauche (Dana Frank / Contretemps)


Le 28 novembre la candidate de gauche Xiomara Castro a largement remporté l’élection présidentielle au Honduras, mettant fin au régime autoritaire instauré par le coup d’État de 2009 qui a renversé son mari, Manuel Zelaya, avec l’appui des États-Unis. Dans cet article, Dana Frank analyse les difficultés qui attendent la nouvelle présidente dans un pays ruiné par une oligarchie mafieuse et sous étroite tutelle de l’impérialisme étatsunien.

Xiomara Castro après sa victoire le 28 novembre 2021 (AP Photo / Moises Castillo)

D’abord, réjouissons-nous. Le succès retentissant de Xiomara Castro aux élections du 28 novembre dernier est une victoire étonnante pour le peuple hondurien. Avant le scrutin, la plupart des gens pensaient que le Parti national au pouvoir allait une fois de plus parvenir à intimider les électeurs, truquer les comptes et voler la victoire, malgré les sondages qui indiquaient clairement que Castro, la candidate de centre-gauche d’une opposition unie, était en passe de l’emporter. Pourtant, lorsque les premiers résultats partiels ont été publiés le dimanche soir, elle a devancé de dix-neuf points le candidat du parti au pouvoir, Nasry Asfura, avec un taux de participation de 62 %. Rien ne semble pouvoir l’arrêter sur le chemin de la présidence, à moins que l’armée ne se soulève – ce qui n’est pas encore le cas.

Le mercredi, alors que plus de 50 % des votes étaient comptabilisés, Asfura a concédé sa défaite, le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a félicité Castro et l’actuel dictateur, Juan Orlando Hernández, a reconnu sa victoire à la télévision nationale. La longue nuit hondurienne va-t-elle prendre fin, et aussi vite que cela ?

Les coups d’État de 2009, de 2012 et leurs suites

Castro sera la première femme présidente de l’histoire du Honduras, avec le plus grand nombre de voix jamais obtenues. Son succès écrasant est le fruit de douze années de lutte acharnée contre le régime mis en place par le coup d’État de 2009. Néanmoins, malgré cette victoire, le peuple hondurien reste traumatisé par douze ans de répression et de souffrance, et les défis auxquels Castro doit maintenant faire face sont plus qu’intimidants. Derrière ces défis se profile le pouvoir impérial des États-Unis, qui risquent de perdre l’une de leurs nations les plus captives.

Le mari de Castro, Manuel « Mel » Zelaya, avait été élu en 2006 par le Parti libéral, l’un des deux partis traditionnels alternant au pouvoir. Il n’était en aucun cas un homme de gauche, mais une fois élu, il a augmenté le salaire minimum, bloqué les plans de privatisation de l’élite hondurienne et il s’est allié aux gouvernements de centre-gauche et de gauche élues dans toute l’Amérique latine lors de la « vague rose » des années 1990 et 2000. En réponse, l’armée, la Cour suprême et la majorité du Congrès ont uni leurs efforts pour l’évincer de la présidence en juin 2009. Les États-Unis ont d’abord protesté contre le coup d’État, puis ont fait tout ce qu’ils pouvaient en coulisses pour le stabiliser, afin de donner une leçon aux autres gouvernements progressistes de la région. Ils ont attendu les élections de novembre – boycottées par la quasi-totalité des observateurs internationaux – et ont rapidement reconnu l’élection de Porfirio Lobo, le vainqueur déclaré du Parti national. Le régime de l’après-coup d’État a immédiatement plongé le pays dans un maelström de violence, de pauvreté et de destruction des fonctions de base de l’État et de l’État de droit. Les gangs et les trafiquants de drogue, travaillant main dans la main avec l’armée et la police, ont consolidé leur contrôle sur tous les niveaux de l’Etat.

Mais une puissante opposition populaire s’est levée pour protester contre le coup d’État, coordonnée par le Front national de résistance populaire, qui a réuni les mouvements de femmes, de travailleu.se.r.s, de campesinos, de militant.e.s LGBT, d’indigènes et d’Afro-Indigènes ainsi qu’un large éventail d’autres Hondurien.ne.s. Ils et elles ont construit une puissante culture de la résistance, manifestant dans les rues par dizaines de milliers pendant plus de deux ans et exerçant une pression internationale stratégique sur le régime. Le parti de Castro, LIBRE (Libertad y Refundación : Liberté et refondation), est né en 2011de ce mouvement de résistance.

Castro s’est présenté pour la première fois à la présidence en 2013, et l’a probablement emporté. Mais le Parti national, qui contrôlait la machine électorale, a confié la présidence à un voyou en pleine ascension, Juan Orlando Hernández, dont la victoire a été rapidement entérinée par les États-Unis. Hernández, issu du milieu militaire, avait soutenu le coup d’État de 2009 en tant que membre du Congrès et, en tant que président du Congrès, il a dirigé le « coup d’État technique » de 2012 qui a renversé quatre des cinq membres de la branche constitutionnelle de la Cour suprême au milieu de la nuit et les a remplacés par ses fidèles. En tant que président, il a militarisé la police, supervisé la répression impitoyable des manifestations et rapidement affirmé son contrôle dictatorial sur l’armée, la police, le congrès, le système judiciaire et la plupart des médias. Avec le soutien des banques multilatérales de développement contrôlées par les États-Unis, il a utilisé la privatisation néolibérale comme façade pour saccager l’emploi et les services publics, tandis que lui et ses acolytes empochaient des milliards d’argent public. En 2013, Hernández et son parti ont volé pas moins de 300 millions de dollars au service national de santé pour payer leurs campagnes électorales, le mettant en faillite. Alors que l’économie s’effondrait et que la terreur essaimait, des centaines de milliers de Hondurien.ne.s ont commencé à fuir le pays.

En 2017, aidé par la Cour suprême, Hernández s’est à nouveau présenté, en violation de la Constitution. Son adversaire était Salvador Nasralla, un présentateur sportif anticorruption de centre-droit, qui se présentait dans le cadre d’une coalition avec Castro. Le soir des élections, la fraude était flagrante : Nasralla était en tête avec cinq points d’avance selon les premiers résultats, mais après quelques heures, le gouvernement a arrêté le dépouillement et, une semaine plus tard, a déclaré Hernández président. Une fois encore, les États-Unis ont reconnu cette « victoire », malgré le tollé suscité dans l’Organisation des États américains. Lorsque les Hondurien.ne.s sont descendu.e.s dans la rue pour protester, l’armée et la police ont tiré à balles réelles, faisant au moins vingt-deux victimes, manifestant.e.s pacifiques et passant.e.s. Au cours des années qui ont suivi, les forces de sécurité ont dispersé presque toutes les manifestations à l’aide de gaz lacrymogènes ; terrorisé.e.s, les manifestant.e.s sont resté.e.s de plus en plus souvent chez eux. En 2020, les banderoles demandant « Où est l’argent ? », en guise de protestation contre le détournement par l’État du financement de la campagne anti-Covid, ont été arrachées par les forces de sécurité.

Les défis de Xiomara Castro

Castro se présente publiquement comme une « socialiste démocrate » [à l’instar de Bernie Sanders CT]. En matière de politique intérieure, son programme promet de s’attaquer à la pauvreté, de transformer la police en instaurant une police de proximité et de mettre fin à la violence contre les femmes et la communauté LGBT. Une grande partie de son programme est cependant de facture classique. Elle veut faire reculer les excès du néolibéralisme et promet de mettre en place un État qui fonctionne et fournit des services de base tels que les soins de santé, l’électricité et l’éducation. Comme le Honduras est confronté à des niveaux de dette astronomiques – ses gouvernements successifs ayant utilisé les institutions de prêt internationales comme des distributeurs de billets privés – , Castro a déjà fait part de son intention de renégocier les conditions de son remboursement. Elle est apparemment favorable aux investissements étrangers, et a déjà organisé des réunions avec la Chambre de commerce. À sa gauche, cependant, elle devra rendre des comptes aux mouvements sociaux qui ont permis sa victoire et qui ont pour objectif une transformation plus profonde de la société hondurienne. Jusqu’à présent, elle s’est ralliée à leur demande de longue date d’une assemblée constituante qui pourrait refonder la nation par le bas. Sur le front de la politique étrangère, elle a clairement indiqué qu’elle établirait un large éventail d’alliances mondiales conformes à ses options, y compris la reconnaissance du Venezuela, de Cuba et de la Chine. (…)

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Dana Frank est professeure d’histoire à l’université de Californie à Santa Cruz. Elle est une éminente spécialiste de l’histoire sociale des Etats-Unis et a travaillé sur l’histoire ouvrière, les travailleurs de la banane en Amérique latine et sur le Honduras contemporain.


Voir également Élections du 28 novembre au Honduras (revue de presse)