Haïti : un an après l’assassinat du président Jovenel Moïse (Frédéric Thomas-CETRI / RFI)


Dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, le président Jovenel Moïse était assassiné dans la chambre de sa résidence privée par un commando armé. Le flou perdure sur les commanditaires de cet attentat, le pays étant habitué depuis des décennies à l’impunité. Les gangs, qui proliféraient bien avant le meurtre du chef de l’État, ont drastiquement accru leur emprise sur le pays, au point de transformer le quotidien en enfer pour les habitants et surtout à Port-au-Prince où vivent environ trois millions de personnes.

Un policier, lors d’une opération anti-gang, au nord de Port-au-Prince, Haïti, le 28 avril 2022. © Odelyn Joseph / AP

Haïti : la gangtérisation de l’État se poursuit
(Frédéric Thomas / CETRI)

ll y a un an, le 7 juillet 2021, était assassiné le président haïtien, Jovenel Moïse. Plutôt qu’un tournant, cet assassinat a marqué une accélération du processus d’effondrement des institutions publiques. Depuis, la situation n’a cessé d’empirer. Avec la complicité de la communauté internationale.

Ariel Henry, Premier Ministre d’Haïti, le 15 août 2021. Son gouvernement assure l’intérim de la présidence de la République à la suite de l’assassinat de Jovenel Moïse le 7 juillet 2021. (Photo : Ministère de la Communication)

Dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, le président d’Haïti, Jovenel Moïse, était assassiné. Très vite, une quarantaine de suspects, dont dix-huit mercenaires (ex-militaires) colombiens, étaient incarcérés. Depuis, plus rien. L’enquête est au point mort (les États-Unis ont, de leur côté, réalisé plusieurs interpellations), et on en est au cinquième juge en charge du dossier ; ceux qui ne se désistent pas, sont démis ou mis en cause pour corruption.

Cet assassinat ne fut ni le déclencheur ni le tournant de la descente aux enfers du pays. En 2018, un mouvement social inédit, protestant contre la vie chère et le scandale Petrocaribe – le détournement de centaines de millions d’euros par la classe politique et le monde des affaires – fut frappé de plein fouet par le premier d’une série de massacres de grande ampleur. Les 13 et 14 novembre 2018, dans le quartier populaire de La Saline, 71 personnes furent assassinées, avec la complicité de l’État. La classe dominante était prête à aller plus loin encore pour ne pas perdre ses privilèges.

Loin de cesser pour autant, les mobilisations s’intensifièrent encore en 2019. D’autres massacres – une quinzaine en tout, en l’espace de quatre ans – se produisirent. Les gangs étendirent leur pouvoir et leur territoire – au point de contrôler estime-t-on 60% de Port-au-Prince –, multipliant les assassinats et les kidnappings (avec viol quasi systématique), au point qu’Haïti est devenu, depuis 2021, le pays avec le nombre le plus élevé d’enlèvements par habitant. L’insécurité généralisée mit un frein aux manifestations.

Une année gaspillée

Nommé deux jours avant l’assassinat du Jovenel Moïse, le Premier ministre, Ariel Henry, gouverne le pays depuis juillet 2021, avec le soutien de la communauté internationale. Quel est son bilan ?

L’insécurité ? Les bandes armées contrôlent toujours le quartier de Martissant, bloquant ainsi depuis 13 mois, l’accès au Sud du pays ; les homicides et enlèvements ont augmenté ; et, du 24 avril au 6 mai a eu lieu le pire massacre de ces dernières décennies dans le pays, faisant près de 200 victimes. La police n’intervient pas, ou en appui aux gangs, et le gouvernement garde le silence.

La situation humanitaire ? En 2021, l’ONU estimait que 4,5 millions d’Haïtiens avaient besoin d’une aide humanitaire, soit près de cinq fois plus qu’en 2018. Ils sont aujourd’hui quatre cent mille de plus (le séisme d’août 2021 n’explique que partiellement cette augmentation). Et, parmi ceux-ci, les 21.380 migrants expulsés des États-Unis entre septembre 2021 et avril 2022.

La justice ? Après avoir subi plusieurs vols, le palais de justice, en plein centre de la capitale, est, depuis le 10 juin 2022, occupé par les bandes armées. Les autorités se taisent. Aucune avancée sur les dossiers de corruption, de meurtres et de massacres ; l’impunité règne. (…)

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Lente descente aux enfers des Haïtiens
(Amélie Baron / RFI)

Un président assassiné, un Parlement inexistant, une justice à l’arrêt, des pénuries répétées de carburants : mener ses activités quotidiennes est un défi permanent à Port-au-Prince. Et face aux enlèvements crapuleux commis chaque jour par des membres de gangs qui ne prennent plus la peine de se masquer le visage, la question n’est plus de savoir comment vivre : la situation est devenue invivable.

« Il faut absolument limiter les déplacements s’il n’y a pas urgence, c’est comme ça, c’est ma formule. Si ce n’est pas urgent, je reste chez moi et on se parle au téléphone », regrette Etzer Émile, économiste. Depuis ces derniers mois, la liste des quartiers où il ose se déplacer s’est considérablement réduite : « C’est très difficile. Il y a des zones où je ne passe presque jamais et le soir encore moins. En même temps, il n’y a pas d’activité le soir. C’est vraiment exceptionnel. Personnellement, je me déplace beaucoup en province. J’utilise l’avion beaucoup plus qu’avant. Mais à Port-au-Prince, c’est très réduit. Je ne vais pas à Tabarre, je ne vais pas à Croix-des-Bouquets, je ne vais pas au centre-ville. Donc, je n’ai pas le choix et je ne sors pas le soir, sauf urgence. Je pense que c’est la même chose pour presque tout le monde ».

Les hôpitaux et les médecins dans une situation préoccupante

Par peur d’être enlevé, beaucoup ne sortent qu’en cas d’extrême nécessité, c’est-à-dire en cas d’urgences médicales. Mais face à la mainmise des gangs sur le pays, les déjà trop rares établissements hospitaliers peinent à fonctionner. Rishkard Juin vient de terminer son internat en orthopédie : « Imaginez-vous, certaines fois des hôpitaux n’arrivent même pas à s’approvisionner en bonbonnes d’oxygène, parce qu’il y a les routes qui sont bloquées, à cause des pénuries de carburant et tout ceci ». Et les professionnels de santé sont très souvent ciblés par les gangs : des médecins ont été enlevés au sein même de leur clinique. En réaction, beaucoup prennent la route de l’exil.

« Durant cette année qui vient de s’écouler, beaucoup de mes confrères ont dû laisser le pays pour aller aux États-Unis, au Canada ou en France. Et ils font autre chose que la médecine. Ils ont peur. Il y a moins d’un an de ça, j’ai un ami qui est marié avec un autre collègue, ils ont dû déménager et ont dû laisser le pays, parce qu’on a kidnappé sa femme. C’est quelqu’un qui n’avait jamais envisagé de laisser le pays, mais du jour au lendemain, à cause du kidnapping de sa femme, il a dû partir. J’aimerais vivre dans mon pays. J’aimerais pratiquer ma profession dans mon pays avec mes compatriotes. Mais avec ce climat-là, ça ne fait que nous détruire », confie Rishkard Juin (…)

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Un an après l’assassinat de Jovenel Moïse,
le point sur l’enquête (RFI)

Dans les premières heures du 7 juillet 2021, le président haïtien Jovenel Moïse était assassiné dans sa résidence privée d’un quartier cossu de la région de Port-au-Prince. Le commando armé se faisait passer pour une opération de la DEA, l’agence américaine anti-drogue. Le chef de l’État est criblé de 12 balles. Son épouse Martine Moïse est grièvement blessée, mais survit l’attaque. Aucun coup de feu n’est tiré par les policiers et gardes présidentiels en poste cette nuit-là.

Le président haïtien Jovenel Moïse, le 7 janvier 2020 à Port-au-Prince. © Chandan Khanna / AFP

Un an après l’assassinat de Jovenel Moïse, les commanditaires et le motif du crime restent inconnus. 73 personnes sont visées par l’enquête judiciaire, 43 d’entre elles ont été inculpées. Si l’on sait aujourd’hui que l’assassinat a été planifié en grande partie à l’extérieur d’Haïti, l’instruction du dossier à Port-au-Prince n’avance pas.

Le soir des faits, il était environ 1h du matin mercredi 7 juillet 2021 lorsque des coups de feu ont résonné près de la résidence de Jovenel Moïse. Le président saisit alors son téléphone, appelle à l’aide sa garde rapprochée et les responsables de sa sécurité, mais ces derniers n’arriveront jamais.

Une vingtaine d’hommes armés pénètrent dans le complexe où loge la famille présidentielle. Le président est abattu dans sa chambre : 12 impacts de balles sont retrouvés sur sa dépouille.

Blessée au bras, la première dame Martine Moïse raconte avoir juste eu le temps de cacher ses enfants. Elle soutient que le commando cherchait un document et qu’il l’a trouvé. Le jour même, l’état de siège est instauré et la veuve de Jovenel Moïse est alors transférée dans un hôpital de Miami.

De nombreuses zones d’ombre persistent, comme qui sont les commanditaires, pourquoi le président a-t-il été ciblé et pourquoi aucune des dizaines de personnes chargées de sa protection rapprochée n’a été blessée cette nuit-là.

Gédéon Jean, du Centre d’analyse et de recherche en droits de l’Homme, a des doutes sur la compétence des cinq juges qui se sont succédé pour mener l’instruction. « Il s’agit d’un crime transnational : un président qui a été assassiné chez lui par des mercenaires, avec une implication de plusieurs territoires : américain, colombien, dominicain. Donc là il faut vraiment des juges spécialisés et compétents pour pouvoir mener une vraie enquête. » (…)

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Voir également:
Haïti : où en est l’enquête un an après l’assassinat de Jovenel Moïse ? (Entretien avec Frédéric Thomas / Margot Hutton TV5) (7 juillet 2022)

Un an après, le mystère reste entier sur l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse (Courrier international) (6 juillet 2022)
Haïti: les affrontements entre gangs ont fait au moins 191 morts (RFI)/ Un bateau avec 200 migrants haïtiens s’échoue à Cuba (AFP) (30 juin 2022)
Haïti: au moins 148 morts dans des affrontements entre gangs près de Port-au-Prince (Amélie Baron / RFI) (11 mai 2022)
Haïti: l’aveuglement international (Frédéric Thomas / CETRI / Le Soir) (10 mai 2022)