2021 au Chili : une boussole politique pour le monde (Manuel Alcántara, Paulina Astroza, Karol Cariola, Olivier Compagnon, Marco Enríquez-Ominami, Pamela Figueroa, Giorgio Jackson / Grand Continent)


Les 15 et 16 mai derniers, les Chiliens ont élu une Assemblée constituante pour rédiger la nouvelle Constitution. Nous avons demandé à des personnalités des mondes universitaire et politique d’analyser ce processus historique pour dresser un premier bilan et esquisser quelques perspectives pour le Chili et le monde.

(Traduction des articles rédigés en espagnol: Florent Zemmouche)


Manifestation en 2019 à Santiago (Plaza Baquedano), ©Carlos Figueroa

Karol Cariola
Députée chilienne pour le parti communiste, elle a été une des principales porte-paroles de la Confédération des Étudiants du Chili en 2009.

Il me semble qu’il serait insuffisant d’analyser les résultats des élections des 15 et 16 mai au Chili sans tenir compte du contexte dans lequel nous vivons depuis deux ou trois ans. 

Tout d’abord, il est important de souligner que notre pays a connu d’intenses processus de mobilisation, qui se sont accumulés depuis plusieurs années. Avant même le 18 octobre 2019, nous avions eu de grandes mobilisations étudiantes, de pêcheurs et une expression, en mai 2019, de la mobilisation féministe qui a été très importante dans notre pays. Tous ces mouvements sociaux ont accumulé de la force, jusqu’à la révolte sociale qui a ouvert la voie à un processus constituant qui, heureusement, d’une certaine manière, s’est chargé d’inaugurer une nouvelle étape de la démocratie dans notre pays. La consolidation de ce processus constituant avec l’élection de nos représentants pour la rédaction de la nouvelle Constitution est un élément très encourageant pour pouvoir continuer à proclamer que : « le processus poursuit son cours ». Et le Chili, après tant d’années de transition démocratique, va pouvoir se doter d’une Constitution démocratique. 

Aujourd’hui, les résultats des conventions constituantes montrent qu’il existe une majorité élue de personnes qui souhaitent des changements structurels et profonds, et qui comprennent la Constitution comme un outil pour renforcer notre démocratie. La Constitution est la principale protection contre la mise en œuvre forcée du modèle néolibéral au Chili. Et il est fondamental de le souligner : s’il y a une chose pour laquelle les citoyens se sont mobilisés – pour laquelle nous nous sommes mobilisés – c’est précisément pour en finir avec l’inégalité, pour en finir avec le modèle de développement mercantilisé qui a tout privatisé (retraites, santé, éducation, logement), mais qui pourtant ne prend pas en charge les besoins du peuple chilien. C’est pourquoi le moment que nous vivons me semble si pertinent. La composition de cette convention constitutionnelle est très importante en termes de transformation des majorités. La droite obstructionniste, protagoniste de la dictature militaire, n’a même pas obtenu le tiers qui lui aurait permis d’opposer son veto au sein de la constituante. Il reste donc aujourd’hui aux forces d’opposition à trouver des accords afin de promouvoir ces transformations. Je voudrais juste souligner brièvement que ce processus a également permis l’élection de nombreux jeunes, de personnes issues de mouvements sociaux et également de femmes. 


Pamela Figueroa
Professeure à la faculté des sciences humaines de l’université du Chili, elle a été coordinatrice du “Processus constituant ouvert à la citoyenneté” pendant le gouvernement de Michelle Bachelet.

Le week-end dernier, le Chili a vécu une méga élection : il s’agissait non seulement d’élire la Convention qui rédigera une nouvelle Constitution, mais aussi des gouverneurs régionaux – pour la première fois dans l’histoire du Chili – ainsi que des maires et des conseillers, c’est-à-dire des gouvernements locaux et régionaux. Le point central de ce processus électoral a été, sans aucun doute, l’élection de la Convention constituante, principalement parce qu’elle a été décrite comme une élection historique. Il en est ainsi dans deux sens : d’abord, parce qu’elle cherche à canaliser, par une voie démocratique, une crise politique et sociale de confiance et de légitimité, très profonde, que vit le pays ; ensuite parce que l’élection de la Convention a impliqué de nouvelles règles électorales qui ont été déterminantes pour ses résultats. Cette Convention constitutionnelle a été élue avec un mécanisme électoral paritaire, avec des sièges réservés aux peuples autochtones et, pour la première fois, avec la possibilité pour les indépendants de constituer des listes. 

La parité a finalement intégré les hommes. Les femmes ont obtenu plus de voix que les hommes et, en raison de la règle de parité, les hommes ont dû être inclus, démontrant ainsi que ce type de règle ne cherche pas à surreprésenter ou à favoriser les premières, mais cherche plutôt une égalité entre les femmes et les hommes. Avec l’égalité dans les règles de la compétition, les femmes ont démontré qu’elles sont compétitives et éligibles. D’autre part, il y aura 17 membres de la Convention constituante représentant les dix peuples autochtones du pays. Enfin, sur les 1 460 candidats en lice pour les 155 sièges de la Convention constitutionnelle, 61 % étaient indépendants. Cela s’est également reflété dans les élections. Face à un choix plus large et à la crise des partis politiques, une grande partie des citoyens a choisi des candidats indépendants : sur les 155 membres, seuls 50 sont des militants de partis politiques et 105 sont indépendants. Bien que certains aient figuré sur des listes de partis et d’autres en tant qu’indépendants, ces nouvelles règles du jeu ont permis que le malaise social, la société et les nouveaux acteurs sociaux soient reflétés dans la représentation. Les résultats de cette élection ont des effets considérables sur la réorganisation du système politique et auront probablement aussi un impact sur les élections présidentielles et parlementaires de novembre 2021. (…)

(…) Lire les autres interviews ici

Voir également nos revue de presse précédentes:
Chili: l’irruption du pouvoir constituant des peuples (Pablo Abufom Silva / Contretemps)
Chili : les résultats électoraux du 16 mai changent la donne
Chili : vers une réécriture de la Constitution héritée de Pinochet et avancée de la gauche aux élections municipales et régionales (Franck Gaudichaud – Blog du Monde Diplomatique / Le Monde – AFP / Justine Fontaine – Libération)
– Chili: élection de l’Assemblée constituante (Marie Normand – RFI / Franck Gaudichaud – Monde Diplomatique / Angèle Savino – Le Courrier – Bastamag)