🇦🇷 En Argentine, le changement ne viendra pas d’une justice trop proche de la droite (entretien avec Milagro Sala par David Zana / Fondation Jean Jaurès)


En Argentine, Milagro Sala, militante et responsable de l’association autochtone Túpac Amaru, est une prisonnière politique depuis son arrestation en janvier 2016. David Zana, journaliste indépendant spécialiste de l’Amérique latine, l’interroge sur son état de santé préoccupant, les conditions de sa détention et les raisons politiques de son incarcération.

Photo: Comité pour la libération de Milagro Sala / Twitter

La province de Jujuy, dans le Nord-Ouest argentin, a vécu ces derniers mois un soulèvement populaire historique. Aux revendications salariales des professeurs du primaire et du secondaire s’est agrégée une vive opposition générale à la réforme constitutionnelle du gouverneur radical Gerardo Morales, prenant notamment la forme de barrages routiers. Si la lutte sociale a refait surface dans cette province où vit une forte proportion de population indigène, la militante qui l’a incarnée durant des années, Milagro Sala, demeure toujours assignée à son domicile.

Milagro Sala est la prisonnière la plus clivante d’Argentine. Le 16 janvier 2016, elle est arrêtée par la police dans le contexte d’un campement pacifique réalisé avec son organisation Túpac Amaru sous les fenêtres du nouveau gouverneur de la province, un certain Gerardo Morales. Depuis lors, elle ne sera jamais relâchée. Les organismes de droits humains du pays, l’ONU et le système interaméricain des droits de l’homme ont rapidement dénoncé une « détention arbitraire » et ses soutiens continuent de fustiger un acharnement politique. En vain. Accusée dans une dizaine d’affaires judiciaires différentes, Milagro Sala a fait l’objet de deux condamnations pénales définitives dont la dernière remonte à une décision de la Cour suprême de décembre dernier dans l’affaire Pibes Villeros (du nom d’une coopérative de construction)relative à des détournements de fonds publics. Alors que ses avocats ont fait porter son cas devant la commission interaméricaine, compte tenu de l’épuisement des voies de recours internes, son état de santé ne cesse de se dégrader. Nous avons eu l’occasion de la rencontrer le 1er juin dernier dans sa prison domiciliaire, à San Salvador de Jujuy.

 Peux-tu nous en dire plus sur ton état de santé actuel ?

C’est difficile. J’ai une thrombose à un stade très avancé avec trois caillots sanguins. Un au genou, un en bas de la jambe et un autre près de l’entrejambe. Je dois faire deux opérations. Malheureusement, tout se mélange avec la politique ici et le gouverneur de Jujuy a interdit que l’on me transfère à Buenos Aires pour être opérée. Il a aussi menacé trois cliniques de Jujuy : la clinique Rosario, la clinique Los Lapachos et la clinique San Pedro, qui ont rendu des rapports falsifiés affirmant que je suis en bonne santé.

Cependant, mes avocats sont allés à Buenos Aires et ont rencontré la fondation Favorolo qui affirme le contraire. Selon elle, ma thrombose s’aggrave sérieusement et requiert deux opérations chirurgicales. Par ailleurs, elle demande aux cliniques de Jujuy de modifier leur rapport.

Je mène actuellement cette bataille et cela fait plus de quatre mois que je devrais être à Buenos Aires. Les opérations ne peuvent pas être faites à Jujuy car les cliniques refusent de me prendre en charge. Le gouvernement a menacé non seulement les médecins mais aussi les propriétaires des cliniques. Ils ont peur. Tout cela est prouvé, nous avons les enregistrements des médecins qui disent que mon état de santé est mauvais. Et ce sont les mêmes qui sont cités dans les rapports pour dire que je vais bien. Regarde comme ma jambe est inflammée, regarde la différence avec l’autre.

Sais-tu quand tu vas sortir ? Comment vois-tu la suite ?

Je n’en ai strictement aucune idée. Je ne crois pas dans ma libération conditionnelle l’année prochaine. Je crois que tant que Gerardo Morales sera gouverneur, je n’obtiendrai pas la liberté. Mais il y a quelque chose de plus grave. La priorité du gouvernement provincial mais aussi du président Alberto Fernández, c’est le business, notamment le lithium, le pétrole ou encore le tabac, et ils voient la libération des prisonniers politiques comme un danger pour les intérêts économiques de la province.

Concernant les élections d’octobre et ce que cela pourrait changer, tout dépend du nom du nouveau président. Le changement ne viendra pas de la justice qui est aujourd’hui reliée aux secteurs politiques de droite. Et je dis cela autant pour le pouvoir judiciaire de Jujuy que pour la Cour suprême de la nation. (…)

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Pour rappel, voir entre autres :
En Argentine, la population mobilisée contre des mines de lithium (David Zana / Mr Mondialisation)
Milagro Sala, prisonnière d’opinion en Argentine (Fondation Jean Jaurès)
Le président argentin face à la pression pour libérer les prisonniers politiques (Carlos Schmerkin / Blog Médiapart)
À l’occasion du 8 mars, FAL se mobilise pour la libération de Milagro Sala, détenue depuis deux ans en Argentine (articles et vidéos)
Communiqué de Presse – Liberté à Milagro Sala