🇦🇷 En Argentine, la “dolarización” de l’économie au cœur de la campagne présidentielle (David Gormenazo / France 24)
Javier Milei, le candidat “anarcho-capitaliste” arrivé en tête des primaires d’août avec son parti “La liberté avance”, doit une grande partie de son succès électoral à sa promesse de dollariser l’économie argentine. Désemparés par l’hyperinflation et la hausse de la pauvreté, beaucoup d’Argentins voient dans l’adoption du dollar comme monnaie officielle “la” solution tant attendue à la crise économique dans laquelle est plongé le pays depuis 2018.
Avec une inflation qui atteint désormais des sommets (124 % par an) et une énième dévaluation de 20 % du peso en août, le cauchemar économique argentin semble long comme une nuit sans fin. Dans ce contexte, l’émergence de Javier Milei, un candidat antisystème qui prône des mesures économiques chocs, n’a été qu’une demi-surprise pour bien des observateurs.
Héraut d’un capitalisme “libertarien” importé des États-Unis qui veut réduire le rôle de l’État au strict minimum, cet ex-économiste devenu animal médiatique a largement remporté les “primaires ouvertes” du 13 août, une sorte de sondage grandeur nature pour départager les candidats d’un même camp organisé avant le premier tour de l’élection présidentielle, qui se tiendra le 22 octobre. Avec 29,86 % des voix, il a réalisé un score qu’aucun sondage ne lui avait prédit et a devancé Patricia Bullrich, la candidate du parti de droite Juntos por el cambio, et le candidat péroniste (et actuel ministre de l’Économie) Sergio Massa.
Depuis, les propositions de ce candidat au verbe haut – qui veut par exemple en finir avec la “caste” politique, qu’il compare à des rats – occupent le devant de la scène : supprimer la Banque centrale et huit ministères (dont ceux de la Santé et de l’Éducation), revenir sur la libéralisation de l’IVG (obtenue par les Argentines en 2021), supprimer toute législation sur la protection de l’environnement… Mais c’est l’une de ses propositions phares, la disparition du peso au profit du dollar – la “dolarizacion” –, qui fait l’objet d’infinis débats.
Rejet de la classe politique
“Compte tenu du mauvais bilan des deux dernières présidences, celle de Mauricio Macri et celle d’Alberto Fernandez, le discours de Javier Milei, qui se veut un candidat de rupture par rapport aux élites qui auraient mal gouverné l’Argentine, a de la crédibilité et du fond”, explique Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (Opalc). “De mon point de vue, c’est ce qui explique pourquoi les propositions de Javier Milei suscitent l’intérêt d’une partie de l’opinion publique.”
En effet, après la présidence du libéral Mauricio Macri (2015-2019) puis celle du péroniste de centre-gauche Alberto Fernández (2019-2023), les effets combinés de l’inflation, des dévaluations, de la crise sanitaire et des déficits budgétaires ont fait passer le taux de pauvreté de 30 % à plus de 40 % dans le pays.
Ainsi, lorsque Javier Milei brandit une tronçonneuse, promettant de couper dans les dépenses de l’État, ou lorsqu’il agite en éclatant de rire des billets géants de 100 dollars à son effigie, le candidat attire inévitablement la sympathie face à une classe politique désemparée qui n’a plus de réponse solide à proposer aux Argentins pour sortir d’une interminable crise économique.
Dollariser, est-ce réalisable ?
Cependant, depuis qu’il a revêtu les habits de favori, l’ex-économiste a quelque peu modéré son projet. Ainsi, la dollarisation est devenue un “système de libre concurrence de monnaies” dont le dollar sortirait in fine vainqueur face au peso.
Pour la plupart des économistes, ce plan ne tient pas la route. Comme beaucoup de ses collègues, Eduardo Levy Yeyati estime que “la dollarisation nécessite généralement un stock de dollars liquides pour remplacer la base monétaire”. Selon lui, en Argentine, “cela représente environ 20 à 25 milliards de dollars de réserves internationales”, or “la banque centrale a récemment affiché des réserves nettes négatives. La dollarisation officielle nécessiterait donc un prêt très important.”
Emprunter sur les marchés internationaux étant a priori impossible pour une Argentine constamment au bord du défaut de paiement, la promesse du candidat antiélite peut laisser perplexe. Le FMI, cet acteur incontournable de la vie politique et économique argentine depuis au moins un quart de siècle, a fait part de ses inquiétudes. “La dollarisation ne peut se substituer à des politiques macroéconomiques saines”, a déclaré à la presse jeudi 28 septembre Julie Kozack, sa porte-parole. (…)
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Voir aussi :
– Javier Milei en dix phrases choc : le paléolibertarien qui veut prendre l’Argentine / Javier Milei en diez frases: el paleolibertario que quiere tomar Argentina (Pablo Stefanoni / Le Grand Continent / fr.esp)
– Argentine: à un mois de l’élection présidentielle, Javier Milei en roue libre (Théo Conscience / RFI)
– Argentine, année zéro ? (Jean-Jacques Kourliandsky / Espaces Latinos)
– Argentine : comment expliquer l’ascension du libertarianisme d’extrême droite ? (Mariano Schuster et Pablo Stefanoni – Nueva Sociedad / Traduction par Robert March – Contretemps)
– Argentine : Javier Milei, candidat conservateur et ultralibéral, gagne la primaire (premières analyses et revue de presse fr.esp.)