Colombie : leurre du changement ? (Frédéric Thomas / CETRI / Le Soir)


Le candidat de gauche, Gustavo Petro, arrivé largement en tête du premier tour des présidentielles en Colombie, est suivi, à la surprise générale, par Rodolfo Hernández, candidat « antisystème ». Le pays a plébiscité le changement ; reste à voir la forme que celui-ci prendra.

Rodolfo Hernández, surnommé le «Trump colombien», en raison de ses sorties et de son imprévisibilité. – Reuters

Alors que nombre d’observateurs craignaient la violence et la fraude, le premier tour des élections présidentielles s’est tenu en Colombie, le dimanche 30 mai, sans problèmes majeurs. Le second tour, le 19 juin prochain, présentera un scénario inédit. Aucun parti traditionnel n’y participera. En effet, c’est Gustavo Petro, candidat d’une coalition de gauche largement inédite qui est arrivé en tête avec un peu plus de 40 % des voix, suivi par l’outsider populiste et « antisystème », jusque-là peu connu, Rodolfo Hernandez, avec 28 % des votes. Le candidat de la droite traditionnelle, lui, n’a obtenu qu’un peu moins de 24 % des suffrages.

Ces résultats traduisent un rejet non seulement du gouvernement en place d’Ivan Duque, particulièrement impopulaire, mais aussi de « l’uribisme », du nom de l’ex-président (2002-2010) Alvaro Uribe, dont Duque est le dauphin, et qui dominait la vie politique colombienne depuis vingt ans, ainsi que, plus globalement, de la classe politique. Les Colombiens ont plébiscité le changement ; un changement qui passe par une autre politique, des manières de faire différentes et d’autres acteurs. Au risque de s’illusionner sur ses chances véritables.

« Le petit vieux de Tik Tok »

Qui est Rodolfo Hernández ? Entrepreneur, âgé de 77 ans, devenu millionnaire grâce à l’immobilier, son expérience politique se limite à son expérience de quelques années comme maire de Bucaramanga, une ville de 500 000 habitants, à l’intérieur du pays. Il présente l’un des visages des victimes du conflit armé qui a secoué le pays, son père et sa fille ayant été enlevés par la guérilla. Ce n’est que ces deux dernières semaines que son nom a commencé à remonter dans les sondages. Plutôt que des meetings et des débats, il a organisé sa campagne via les réseaux sociaux, au point d’être surnommé « le petit vieux de Tik Tok ».

Son programme politique ? Pour l’essentiel, il se résume à « en finir avec les voleurs et la corruption ». En ce sens, il constitue une version populaire de la candidate Ingrid Betancourt, autant choyée par les médias occidentaux qu’elle est dédaignée par l’électorat colombien. Même personnalisation outrancière, même rejet de la classe politique et prétendu refus de la polarisation, même focalisation, enfin, sur la lutte contre la corruption, à défaut d’un projet de gouvernement. D’ailleurs, Betancourt a annoncé son ralliement à Rodolfo Hernández.

Jusqu’il y a peu, Hernández était surtout connu pour ses sorties polémiques – il a ainsi affirmé que les migrantes vénézuéliennes étaient des « usines à faire des bébés » –, ses coups de gueule et ses déclarations fâcheuses, en se présentant par exemple comme « le disciple d’un grand penseur allemand qui s’appelle Adolph Hitler »… avant de se rétracter ; il l’aurait confondu avec Einstein.

Son absence dans les débats, qui lui a permis de ne pas s’expliquer sur son programme, son usage des réseaux sociaux et d’un langage simpliste, centré sur quelques idées chatoyantes, comme ne pas percevoir son salaire de président s’il est élu, et garantir à tous les Colombiens d’aller une fois par an à la mer, l’ont servi avantageusement. En sera-t-il de même, maintenant, qu’il est au centre du débat ? La question demeure ouverte au vu de la configuration des médias colombiens, partie prenante de la campagne anti-Petro, et du rejet populaire de la classe politique.

Deux versions du changement ?

Surnommé le « Trump colombien », en raison de ses sorties et de son imprévisibilité, Rodolfo Hernandez s’apparente peut-être plus au président salvadorien, Nayib Bukele. Ils ont d’ailleurs contracté le même consultant espagnol en communication pour leurs campagnes respectives. Et tous deux de miser sur le registre émotionnel et le ras-le-bol généralisé face à la corruption. Le discours véhément du candidat colombien butte néanmoins sur la mise en cause de sa gestion comme maire ; une trentaine d’enquêtes seraient en cours.

Autre point commun entre Bukele et Hernandez : le « ni gauche ni droite ». Cette affirmation ne résiste cependant pas à l’analyse. Mis à part le département d’Antioquia, traditionnellement conservateur, qui représente près de 30 % du total des voix obtenues par le candidat de droite, et de deux autres départements, arrachés par Petro, Hernandez a gagné dans toute la « Nation Uribe » ; à savoir les départements qui avaient voté « non » au référendum sur l’Accord de paix en 2016, jugé trop favorable à la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

Outre sa base électorale, sa vision du pays – qu’il entend gérer comme une entreprise – et le choix initial comme vice-présidente d’une journaliste conservatrice et polémique, issue de l’élite (celle-ci a finalement refusé), le situe clairement sur l’échiquier politique. Enfin, toute la droite colombienne s’est déjà ralliée à sa candidature ; il n’y a pas d’autre option pour faire barrage à un candidat de gauche perçu, contre toute évidence, comme un dangereux communiste. (…)

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