Élections présidentielles en Colombie : premières analyses (Christophe Ventura / Sergio Coronado)


Au premier tour de la présidentielle qui s’est déroulé le 29 mai en Colombie, la droite sortante s’est effondrée. Avec 40,3% au premier tour, le candidat de gauche Gustavo Petro, 62 ans, est arrivé largement en tête du premier tour.. Il sera opposé au second tour le 19 juin à Rodolfo Hernández, surnommé le “Trump colombien”. Reconnaissant sa défaite, le candidat de droite a immédiatement appelé à voter pour Hernández le 19 juin. Le second tour s’annonce incertain. Les analyses de Christophe Ventura et Sergio Coronado.

Quel bilan du premier tour ? (Christophe Ventura / “Chroniques de l’Amérique latine” IRIS)

Les Colombiens étaient appelés aux urnes dimanche pour le premier tour de l’élection présidentielle. Le candidat de la coalition Pacte historique, Gustavo Petro, a récolté 40 % des voix au premier tour, contre 28 % pour Rodolfo Hernández. Le sénateur de gauche Gustavo Petro, un ex-guérillero converti à la social-démocratie, et ancien maire de Bogotó pourrait devenir le premier président de gauche du pays à l’issue du scrutin, le 19 juin. Face à lui, Rodolfo Hernández, l’ex-maire de la ville de Bucaramanga (nord), homme d’affaires, surnommé par la presse locale comme le « Trump colombien ». Quels sont les enjeux politiques de ce premier tour ? Pourquoi assiste-t-on à un triomphe des candidats « antisystème » ?

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Un résultat historique pour la gauche, un second tour incertain (Sergio Coronado / Regards)

Résultat historique pour la gauche en Colombie. Avec 40,3% au premier tour, le binôme présidentiel Gustavo Petro et la candidate à la vice-présidence Francia Márquez pour le “Pacto Histórico” est arrivé largement en tête. Le second tour s’annonce incertain.

Le dimanche 29 mai 2022 avait lieu le premier tour de l’élection présidentielle en Colombie. Toutes les enquêtes d’opinion donnaient la candidature de la coalition de gauche, « Le Pacte historique”, largement en tête. Gustavo Petro et la candidate à la vice-présidence Francia Márquez ont recueilli 40,33% et 8 523 265 voix. C’est le meilleur résultat que la gauche n’ait jamais obtenu dans toute l’histoire politique du pays. Gustavo Petro est en tête dans toutes les grandes villes, allant jusqu’à culminer à 47% à Bogotá, ville dont il a été le maire. C’est bel et bien un résultat historique, fruit d’une campagne de longue haleine, populaire, avec des forces militantes très mobilisées et des démonstrations de force sur l’ensemble du territoire, avec des rassemblements de foule impressionnants, malgré les menaces et la violence qui ont émaillé la campagne. C’est aussi le fruit d’un élargissement de son socle.

À mesure que le soutien politique au gouvernement Duque faiblissait, Gustavo Petro a su attirer à lui des figures jeunes, ou dissidentes, du libéralisme et même des personnalités conservatrices, comme Álvaro Leyva. Face à la colère sociale, à l’abandon d’une partie du pays et à l’augmentation de la pauvreté provoquée par la crise du COVID, le choix de Francia Márquez comme candidate à la vice-présidence fut plus qu’un clin d’œil. C’est la prise en compte de la situation faite aux communautés afro-descendantes et indigènes, aux populations déplacées, aux femmes et aux minorités. C’est faire une place de choix à la remise en cause du modèle extractiviste qui règne en maître dans l’Amérique andine, et ailleurs, et aux luttes sociales communautaires pour la défense de la terre. C’est donc cette construction politique patiente, non sans erreurs et soubresauts parfois, qui permet à Gustavo Petro d’obtenir un gain de presque 4 millions de voix par rapport au premier tour de l’élection présidentielle de 2018, où il avait atteint 4 855 069 voix. Sa campagne est apparue comme l’issue politique du mouvement social commencé en 2019, à l’appel des centrales syndicales, qui a connu une mobilisation inédite contre les inégalités, la corruption et la violence répressive.

Ce premier tour connaît une participation élevée, 54.91 %, dans un pays de forte abstention. Alors que la mission d’observation électorale, MOE, avait mis en lumière les violences de la pré-campagne, ce dimanche électoral de premier tour s’est déroulé de manière satisfaisante selon les observateurs.

L’uribisme absent du second tour

« Fico » Gutiérrez, que les enquêtes d’opinion plaçaient, à quelques jours de l’échéance, à la seconde place paie le prix d’un rejet massif de l’uribisme et du vieux système, qu’incarne le trio des anciens Présidents Álvaro Uribe, Cesar Gaviria et Andrés Pastrana, tirant les ficelles de la vie politique colombienne depuis des décennies. L’ancien maire de Medellin a fini par incarner la continuité, à la tête d’une campagne millionnaire, soutenu par les forces gouvernementales. Est-ce pour autant la fin du cycle uribiste dans le pays ? La victoire de Gustavo Petro le 19 juin prochain en serait la preuve. Il n’en reste pas moins que le second tour, malgré l’avance du candidat du Pacte historique, est pour le moins incertain. Ce premier tour marque l’effacement des partis traditionnels. Mais c’était déjà le cas avec la victoire d’Álvaro Uribe en 2002, candidat libéral dissident. Le duopole libéraux-conservateurs est en déclin, il a fini par s’effacer de l’élection présidentielle.

Un populiste de droite, attrape-tout et anti-système

La présence au second tour du candidat Rodolfo Hernández, sorte de Trump andin, ancien maire de Bucaramanga n’est pas le meilleur scénario pour la gauche. Il prive Petro d’un second tour projet contre projet, et d’une campagne de polarisation contre l’extrême-droite au pouvoir. Le bilan désastreux de Duque était un des meilleurs arguments de la gauche. La campagne de Hernández connaît une dynamique inédite dans l’opinion.

Le seul ralliement notable, sans qu’il n’affecte en rien le positionnement du candidat, fut celui d’Ingrid Betancourt, à la peine avec sa propre candidature anti-corruption. Cet entrepreneur se présente comme un candidat anti-système, luttant contre les mafias et la corruption, indépendant des appareils politiques. « Le candidat du bon sens », assure-t-il. Il a cependant pris soin de marteler pendant les dernières semaines de la campagne qu’il était le seul à pouvoir battre Gustavo Petro…

C’est en fait un homme de droite, extrêmement conservateur, dont le programme sommaire se concentre sur une dénonciation de la corruption, une proposition de baisse de la TVA à 10%, un programme de construction de maisons en zone rurale pour s’attaquer au déplacement forcé (!) et un programme éducatif où il propose un management entrepreneurial pour les universités. Son projet politique ne propose aucun changement structurel en faveur d’une politique plus juste. (…)

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Photo : Fernando Vergara / AP

Voir également ces articles précédents et ces analyses sur l’élection présidentielle en Colombie
– Présidentielle en Colombie : vers un second tour le 19 juin entre Gustavo Petro et Rodolfo Hernández (revue de presse)

Colombie: fin de la campagne électorale présidentielle (revue de presse)
– Les espoirs et attentes de la jeunesse colombienne (reportage de Elizabeth Allain / Cap Amérique / France 24)
– Colombie : le candidat de gauche à la présidence face aux menaces de la droite (Nadja Sieniawski / Contretemps)
– Colombie : à l’orée d’un tournant politique ? (Frédéric Thomas / CETRI)
– La première étape du cycle électoral 2022 en Colombie : changements et continuité au Congrès ( Yann Basset / Observatoire électoral 2022 de l’Amérique latine / IRIS)

Communiqué de France Amérique Latine
Pour un véritable changement en Colombie !