🇨🇴 Colombie : « Nous avons hérité d’un passé de violence » (entretien avec Tatiana Roa, vice-ministre de l’environnement / Frédéric Thomas -CETRI)
Dans le cadre de la COP16, le sommet mondial pour la biodiversité qui s’est récemment tenu à Cali, en Colombie, Frédéric Thomas du CETRI / Centre Tricontinental s’est entretenu avec Tatiana Roa, vice-ministre colombienne de l’environnement. L’occasion de l’interroger sur son propre parcours et sur les enjeux de la COP16, notamment au regard du gouvernement de gauche de Gustavo Petro, qui entend incarner le changement, y compris en matière écologique.
Quel est, à l’heure actuelle (jeudi 31 octobre [1]) votre évaluation de la COP16, des avancées comme des points de blocage ?
Cette COP a différents objectifs, mais je vais me centrer sur certains des enjeux politiques. Il s’agit de positionner certains thèmes, dont ceux de « la paix avec la nature » et de la biodiversité, à l’agenda tant national qu’international, et d’avoir une « COP des gens », qui permette la participation citoyenne. On a assisté à un grand déploiement d’activités au sein de la « zone verte » – plus de 120 événements étaient enregistrés auprès du ministère de l’environnement, mais il y en a eu d’autres –, qui est ainsi devenue un espace de débats, d’initiatives et de participation, notamment des jeunes et des femmes. La COP a constitué un événement paradigmatique en matière de participation populaire.
Au niveau local, Cali s’est transformée en une scène verte, avec des espaces pédagogiques pour (mieux) comprendre l’écosystème, les apports de la biodiversité dans la vie quotidienne, etc. L’un des principaux enjeux sera d’assurer que cet espace se maintienne, qu’il y ait une continuité. Auparavant, on a entendu beaucoup de critiques sur l’improvisation, le désordre, etc. de ce sommet et on voit en réalité une organisation impeccable jusqu’à présent ; c’est aussi une réussite.
Au niveau international, une coalition de paix avec la nature s’est construite, liant la paix, les droits humains et la protection de l’environnement, qui a déjà été signée par vingt-deux pays et plus d’une dizaine d’organisations [2]. De plus, la relation étroite entre le climat et la biodiversité a été mis en avant au cours des négociations, soulignant la nécessité que les trois COP [Conférences des Parties sur la biodiversité, le climat et la désertification] s’articulent davantage.
Le financement est un nœud : les pays les plus responsables de la dégradation de la biodiversité ne s’engagent pas. Cette situation est au centre du radar. De même que les peuples indigènes et les communautés locales, qui espèrent être reconnus, ainsi que leur rôle dans la préservation de la biodiversité. Nous devons travailler plus et mieux pour que cette reconnaissance leur soit acquise [3].
Enfin, la préparation et la réalisation de la COP16 a donné la possibilité à des organisations sociales et environnementales d’échanger, de se (re)trouver, de converger, de renforcer leurs réseaux ; c’est ce qu’on appelle ici la « juntanza ». C’est un moment d’opportunité qui permet de tisser des liens formels et informels, aux niveaux national et international.
À propos de la question des financements, qui constitue à la fois un enjeu central, un point de blocage et un clivage Nord-Sud, la question tient à la fois de la disponibilité de ceux-ci, mais aussi de la façon dont ceux-ci sont fournis, à savoir souvent sous la forme de prêts qui aggravent l’endettement des pays du Sud. Et l’on parle actuellement de « crédits biodiversités » un peu sur le modèle des « crédits carbone », qui constituent pourtant un échec, sinon une arnaque. Quelle est votre position à ce sujet ?
Les « crédits carbone » ont fait l’objet de critiques importantes de la part de certains groupes indigènes, afrodescendants, paysans, d’ONG et d’universitaires. Ces critiques portent principalement sur les conditions profondément inégales qui caractérisent les négociations. Celles et ceux qui remettent en cause ces marchés affirment que, loin d’être une solution équitable, ils deviennent des outils de contrôle des territoires.
Ce gouvernement travaille à la mise en œuvre de réglementations visant à réguler ce marché, à garantir les droits des peuples et à renforcer la souveraineté sur les ressources liées au carbone. La COP16 se veut également à l’écoute des communautés, afin que leur connaissance de l’environnement et de la biodiversité soit reconnue et valorisée, ainsi que leur propre approche de la protection de la nature.
La COP16 apparaît comme une vitrine du gouvernement colombien, qui entend mettre en avant le changement qu’il promeut autour de « la paix avec la nature ». Dans le même temps, la Colombie constitue l’un des pays au monde avec le nombre le plus élevé de défenseurs et défenseuses de l’environnement assassinés [4]. Comment comprendre cette contradiction ?
En effet, selon les rapports de Global Witness, la Colombie détient le record du nombre de défenseurs de l’environnement assassinés. Cette situation est profondément liée à des problèmes historiques tels que le conflit armé, le trafic de drogue, les gangs criminels et les profondes inégalités sociales. La violence reste une préoccupation majeure, tant pour le gouvernement actuel que pour les mouvements sociaux, qui exigent des réponses claires et efficaces. Nous avons hérité non seulement d’un passé de violence, mais aussi d’un cadre réglementaire qui a affecté les communautés paysannes et les autres communautés vulnérables. Malgré les efforts déployés pour parvenir à une paix totale, il y a eu une multiplication des groupes armés à la suite de l’Accord de paix [de 2016 avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie – FARC], ce qui accroît les risques pour celles et ceux qui défendent les territoires. (…)
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Pour rappel sur la COP 16, voir :
– COP 16 Biodiversité à Cali : le bilan (revue de presse)
– COP 16 : entre négociations et “COP des gens” (revue de presse)
– COP16 : la Colombie, un pays hôte dont la biodiversité est très menacée (Sarah Krakovitch / Reporterre)
– COP16 Biodiversité : “Les peuples autochtones sont de meilleurs acteurs que les ONG en termes de protection de la nature” (Maya Elboudrari / TV5 Monde)
– COP16. La Colombie demande au monde de faire la paix avec la nature (Guylaine Roujol Perez)