🇨🇴 Colombie : Petro-Márquez, la bataille n’est pas encore gagnée malgré le triomphe électoral (Roberto Montoya / Viento Sur / traduction Christian Dubucq pour Contretemps)


La victoire électorale du ticket présidentiel Gustavo Petro/Francia Márquez lors des récentes élections présidentielles colombiennes est une étape historique, sans doute inimaginable jusqu’à récemment… mais la bataille n’est pas encore gagnée.

Leer en español : Petro-Márquez, un gran triunfo electoral, pero aún falta controlar el poder


Cela a été un grand triomphe pour les sans-culottes et les sans-papiers, pour ceux qui, après le résultat du premier tour, ont compris qu’une alliance au second tour des différents courants de la droite qui s’étaient initialement présentés séparément pouvait empêcher l’arrivée d’un gouvernement de gauche en Colombie, comme cela a été le cas en 2018.

L’effondrement de l’uribisme, expression ultime de la combinaison des intérêts de propriétaires terriens et de grands hommes d’affaires sans scrupules, de multinationales, des forces armées, de puissants groupes narco-paramilitaires et de groupes de médias, n’a pas garanti en soi la défaite de la droite.

Les mathématiques nous permettaient de prédire une nette victoire de la droite si elle parvenait à s’unir autour d’un candidat aussi singulier que Hernández qui, grâce à son discours simpliste et populiste et en évitant la confrontation des programmes, était également capable d’attirer le vote des secteurs populaires qui avaient des préjugés et qui avaient peur de Petro. Hernández, béni par Biden, malgré sa ressemblance avec Trump, est donc apparu comme le candidat anti-Petro idéal dans des élections aussi polarisées.

Comme cela s’est produit au Chili lors des élections de décembre dernier, les partis politiques traditionnels discrédités sont tombés et, dans la dernière ligne droite, des figures inattendues d’ultra-droite sont arrivées pour affronter les candidats de gauche, José Antonio Kast au Chili et Rodolfo Hernández en Colombie. Bien que présentant des profils très différents, tous deux avaient en commun certaines caractéristiques importantes : populistes dans la forme, néolibéraux dans l’économie, idéologiquement d’ultra-droite, comme c’est maintenant aussi le cas en Argentine avec Javier Milei, l’économiste et député avec lequel l’ultra-droite a réussi à entrer au parlement pour la première fois depuis la dernière dictature militaire.

Le grotesque magnat septuagénaire Rodolfo Hernández est aussi pathétique, aussi incroyable, que l’étaient d’autres milliardaires bien connus qui ont fait le saut dans le monde de la politique, comme Silvio Berlusconi ou Donald Trump. Pourtant, ce pathos n’a pas empêché Berlusconi et Trump d’arriver au pouvoir respectivement en Italie et aux États-Unis, ni Jair Bolsonaro au Brésil.

Le phénomène Hernández a été fabriqué en quelques mois et les différentes familles de la droite s’y sont accrochées après les résultats du premier tour dans une tentative désespérée de préserver l’ordre établi, l’ordre habituel.

Une mobilisation de ceux d’en bas qui a renversé les prévisions

Les sans-culottes ont compris le danger et se sont mobilisées depuis les coins les plus reculés de la Colombie. Il n’est pas exagéré de dire que beaucoup ont marché ou chevauché pendant des jours, car il y a suffisamment de témoignages et de vidéos à ce sujet ; ils et elles ont traversé des montagnes et des rivières pour atteindre des bureaux de vote éloignés afin de voter. Ils et elles ont compris ce qui était en jeu.

Le programme du Pacte Historique n’était pas tout, ni le charisme et l’expérience politique de Petro, ancien maire de la capitale, une ville de plus de sept millions d’habitant.e.s comme Bogota.

La présence à ses côtés d’une combattante sociale noire de longue date, Francia Márquez, si connue pour son long combat en faveur des minorités sociales, a été d’une importance capitale pour mobiliser les paysan.nes et les indigènes, ces militant.e.s écologistes qui risquent chaque jour leur vie en luttant contre la déforestation, contre les mines à ciel ouvert, en défendant la terre contre les abus des grands propriétaires terriens et de leurs groupes armés. Francia Márquez a également réussi à enthousiasmer et à mobiliser la communauté LGTBI et le mouvement féministe. Grâce à son courage incontestable et à son parcours, elle a su redonner espoir à des secteurs sociaux qui n’avaient pas encore été convaincus par le discours de Petro.

Le fantôme du génocide de l’Union Patriotique

Tout d’abord, il faudra arriver en vie le 7 août, jour fixé pour l’entrée en fonction de Gustavo Petro et Francia Márquez respectivement comme président et vice-présidente, et rester en vie ensuite.

Lors de la dernière étape de la campagne électorale, Petro a été contraint d’annuler plusieurs rassemblements publics dans des lieux contrôlés par les narcos et les paracos (les paramilitaires), alliés traditionnels de l’uribisme. Lors d’autres événements, il a dû parler derrière une vitre blindée. En Colombie, les menaces de mort ne sont pas à prendre à la légère. Engager un tueur à gages est très bon marché.

La Colombie détient le record mondial du nombre de candidats présidentiels abattus : en 1987 Jaime Pardo Leal et en 1990 Bernardo Jaramillo Osa, tous deux candidats présidentiels de l’Union Patriotique. La même année, en 1990, le candidat favori, Luis Carlos Galán, et Carlos Pizarro Leongómez, l’un des principaux dirigeants du M-19, le même groupe de guérilla auquel appartenait Gustavo Petro dans sa jeunesse, ont également été assassinés. En 1995, le candidat présidentiel Álvarez Gómez Hurtado du MSN (Movimiento de Salvación Nacional) fut également assassiné.

Pour les militant.e.s du Pacte Historique, le fantôme du massacre des membres de l’Union Patriotique (UP), à laquelle appartenaient Pardo Leal et Jaramillo Osa, est plus présent que jamais. Ce dernier a été tué par un tueur à gages de 16 ans sur ordre de Pablo Escobar. L’UP était une coalition créée en 1984 par les Forces Armées Révolutionnaires et l’Armée populaire (FARC-EP) suite aux accords de paix signés par ces groupes armés avec le gouvernement de Belisario Betancur.

La guérilla et le gouvernement signent alors un armistice. L’illusion que cela provoque dans une grande partie de la population conduit de nombreux secteurs favorables à la paix à rejoindre la coalition et, en 1986, celle-ci obtient de très bons résultats électoraux, entrant au Congrès des députés et au Sénat et obtenant 335 conseillers. Pardo Leal a obtenu 10 % des voix. Au moment où ces élections ont eu lieu, près de 300 militant.e.s de l’UP avaient déjà été assassiné.e.s. Il a réussi à rompre avec le système bipartisan pour la première fois dans le pays, ce qui a déclenché des signaux d’alarme en Colombie et aux États-Unis.

Après ces résultats électoraux, les meurtres ont encore augmenté, et les militants et sympathisants de l’Union Patriotique sont devenus les cibles des groupes narco-paramilitaires d’ultra-droite, en complicité avec les forces de sécurité et les forces politiques conservatrices. La tête de n’importe lequel de leurs membres valait une belle somme en dollars. Les assassinats de maires, de conseillers municipaux et les meurtres de dizaines de militant.e.s de l’UP ou de simples électeurs et électrices dans les villages ruraux se sont intensifiés après les élections municipales de 1988, lorsque l’UP est devenue la troisième force politique de Colombie.

Selon un rapport de 2022[1] de la Juridiction Spéciale pour la Paix, en plus des deux candidats présidentiels assassinés, 5 733 victimes de l’UP ont été dénombrées ; il y a eu 4 616 assassinats et le reste sont des disparitions forcées. L’État a fini par reconnaître, bien des années plus tard, que l’UP avait été victime d’un génocide. La grande majorité des crimes sont restés impunis.

Les FARC-EP rompirent la trêve et lancèrent une grande offensive contre les chefs des clans de narcotrafiquants et les paramilitaires responsables des milliers de crimes, et la guerre reprit dans toute son intensité. L’UP fut interdite mais retrouva son statut légal des années plus tard lorsque l’État dut reconnaître que son militantisme avait fait l’objet d’un génocide. Avec une composition différente de celle d’origine, l’Union Patriotique fait aujourd’hui partie de la coalition du Pacte Historique qui a donné la victoire électorale à la formule Petro-Márquez. (…)

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Voir également :
– Colombie : rapport final de la Commission de la vérité (revue de presse)

Présidentielle en Colombie : les enjeux d’une victoire historique de la gauche (Christophe Ventura / IRIS)
– Colombie : victoire du Pacto Histórico (premières analyses)
– Colombie : victoire du Pacto Histórico à l’élection présidentielle (revue de presse et vidéos)
– Colombie : un jour nouveau se lève ! (Communiqué de France Amérique Latine)/ Colombia : un nuevo amanecer (Comunicado de France Amérique Latine)