🇺🇸 Donald Trump et sa politique étrangère : l’Amérique latine, banc d’essai d’une diplomatie du plus fort (Jean-Jacques Kourliansky / Fondation Jean Jaurès)
Trois semaines après l’investiture du désormais 45e et 47e président des États-Unis d’Amérique, Donald Trump, les velléités d’annexion du Canal de Panamá, de changement de nom du golfe du Mexique et de déportation massive vers les voisins du sud laissent entrevoir l’attitude de la Maison-Blanche à l’égard du monde latin, ce pour les quatre prochaines années. Jean-Jacques Kourliandsky, directeur de l’Observatoire de l’Amérique latine et des Caraïbes, analyse comment, une fois de plus, l’Amérique latine se trouve la cible d’une diplomatie brutale et unilatérale.
Le 20 janvier 2025, répondant aux questions posées par la presse à l’occasion de sa prise de fonction, Donald Trump a fixé le cadre de son rapport avec l’Amérique latine. Au correspondant du quotidien brésilien Globo qui l’interrogeait à ce sujet, il a dit la chose suivante : « Nous n’avons pas besoin d’eux […] Ce sont eux qui ont besoin de nous ». Interpellé sur l’Espagne, il a assez longuement disserté sur le mauvais sort qu’il souhaite lui réserver, comme à tous les pays membres du groupe BRICS+1.
Avant de proposer une lecture des propos tenus par Donald Trump sur le monde latin, au premier jour de son mandat présidentiel, il convient de les contextualiser. Pourquoi avoir choisi ces commentaires-là afin de caractériser les orientations futures des États-Unis avec l’hémisphère occidental ? La réponse est paradoxale, mais d’évidence. Personne ne savait jusque-là comment Donald Trump percevait l’Amérique latine. Ni les observateurs, ni les électeurs n’ont, à aucun moment de la campagne, eu la possibilité de connaître le programme du candidat. Divers documents ont été édités par des officines proches du parti républicain, comme la Heritage Foundation. Ils n’engageaient toutefois que leurs auteurs.
Deviner les orientations précises et les propositions de la seconde administration Trump, vis-à-vis de l’Amérique latine ou d’ailleurs, relevait de l’interprétation de propos parfois rudement exprimés, mais sibyllins. On savait que l’Amérique latine était l’une de ses phobies. Ainsi que le signalait avec pertinence une note du centre d’idées WOLA, quelques jours avant la prise de fonction présidentielle : « Avec le retour de Donald Trump […] l’Amérique latine doit s’attendre à une période de turbulences dans sa relation avec son voisin du nord2 ». Mais quelles formes ces turbulences allaient-elles prendre ? Tout au plus pouvait-on mettre à la suite quelques propos décousus et polémiques sur le Mexique et Panama3. En dépit de leur caractère répétitif, cela ne suffisait pas à construire une politique extérieure régionale. La petite phrase adressée au journaliste du quotidien Globo permet d’accrocher sur un fil conducteur les propos de campagne sur le Mexique, Panamá, et les premières décisions prises depuis le 20 janvier 2025 par le président Trump.
Donald Trump et sa diplomatie
Que ressort-il de cette pêche à l’information ? L’interpréter, comprendre les motivations d’annonces ciblant en priorité des pays latins, exige une tentative préalable de compréhension de la pensée diplomatique de Donald Trump.
Trois remarques d’ordre général. L’incertitude est un élément central du mode d’agir d’un président formé à l’école de la concurrence entrepreneuriale. Cette incertitude est volontaire puisqu’aucun document permettant d’éclairer le choix des électeurs et d’informer les dirigeants du monde n’a été diffusé, au moins publiquement. Selon certains observateurs, ce flou est censé provoquer une prédisposition aux concessions chez les gouvernements ciblés ou a priori concernés par les déclarations de l’administration américaine. Si tant est que le président cherche à reprendre le mode d’action de l’un de ses prédécesseurs, ce flou le rapprocherait de celui privilégié en son temps par Richard Nixon, classé par les spécialistes dans la case des présidents « imprévisibles4 ». Cette incertitude est amplifiée par l’inculture internationale de Donald Trump. Aussi, le président a récemment critiqué et menacé l’Espagne d’une augmentation de 100% des droits de douane, en tant que pays membre des BRICS+5. Pourtant, le groupe BRICS+ rassemble un certain nombre de pays non européens6, et l’Espagne n’en a jamais fait partie ni n’a fait acte de candidature. Cette ignorance des affaires internationales a été longuement analysée par John Bolton, ancien conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump en 2018 et 20197. La sociologue française Maya Kandel qualifie le style international de Donald Trump, au cours de la même période, de « processus décisionnel chaotique8 ».
La deuxième remarque porte sur la méthode diplomatique privilégiée par le président telle qu’elle a été exposée devant le Sénat par Marco Rubio, nouveau secrétaire d’État aux Affaires étrangères, dans un jargon propre à l’administration nord-américaine. Les États-Unis useront de la force pour défendre leurs intérêts et leurs valeurs, ramassées dans le mot d’ordre « L’Amérique d’abord » (America first), que le candidat Trump proclamait déjà en 2016. Des valeurs martelées dans tous les discours et reproduites à l’infini sur divers artefacts, casquettes, chemisettes, stylos et affiches.
La troisième concerne le sens donné à ce mot d’ordre par le nouveau président, qui, compte tenu de son passé d’homme d’affaires, a construit sa politique sur le concept de démocratie de marché, identifiant le pays à une entreprise et fondant sa politique intérieure sur la recherche d’un bénéfice commercial et financier maximal. Les dirigeants de l’économie et des banques ont bien compris le message. Ils ont financé la campagne de Donald Trump et sont aujourd’hui, à l’image du Sud-Africain Elon Musk9, aux affaires pour mettre en œuvre une politique au service de leurs intérêts. (…)
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Pour rappel, voir aussi :
– Panamá : à qui profite le canal ? (Entretien avec Kevin Parthenay par Guillaume Erner / Les enjeux internationaux / France Culture)
– La Chine dénonce « la mentalité de guerre froide » des États-Unis en Amérique centrale (Le Monde / AFP)
– Tournée de Marco Rubio, secrétaire d’État étasunien, en Amérique centrale (RFI / France 24 / TV5 Monde)
– Le Mexique contre Trump : Claudia Sheinbaum et l’art du rapport de force face aux tarifs (Le Grand Continent)
– « Il est possible de résister à la présidence impériale de Trump », une conversation avec l’ancien président colombien Ernesto Samper (Florent Zemmouche / Le Grand Continent)
– L’Amérique latine face à Trump (Entretien avec Christophe Ventura par Pascal Boniface / Les mardis de l’IRIS)