Droit à l’avortement : en Amérique latine, la “vague verte” poursuit sa course malgré les obstacles (Barbara Gabel / France 24)


Le Mexique a décriminalisé l’avortement début septembre, rejoignant des pays comme l’Argentine ou la Colombie qui autorisaient déjà l’IVG. Mais où en est ce droit en Amérique latine, continent encore largement conservateur sur le sujet ? France 24 fait le point à l’occasion de la Journée internationale pour le droit à l’avortement, ce 28 septembre.

Le Mexique a dépénalisé l’avortement sur l’ensemble de son territoire, le 7 septembre 2023, allant dans le sens d’autre pays d’Amérique latine et à contre-courant des États-Unis. (Photo d’archives d’une manifestation à l’occasion de la Journée internationale de l’avortement sans risque, à Mexico, le 28 septembre 2022) © Paola Garcia, Reuters

Alors que les restrictions au droit à l’avortement se multiplient aux États-Unis depuis juin 2022, l’Amérique latine a vu de son côté le Mexique rejoindre début septembre la liste des pays autorisant l’IVG (interruption volontaire de grossesse). Un pays de plus emporté par la “vague verte” de légalisations et de dépénalisations de l’avortement initiée par l’Argentine sur le continent, après la mobilisation de dizaines de milliers de femmes descendues dans la rue en brandissant des bandanas verts pour défendre leurs droits.


L’avortement en Amérique latine et dans les Caraïbes © Studio graphique – France Médias Monde

Le chemin, cependant, reste long. “Dans les pays (d’Amérique latine) où l’avortement est dépénalisé sur le plan juridique, il y a toujours des obstacles à sa mise en œuvre sur le plan social”, observe sur France 24 Fanny Gómez-Lugo, directrice des programmes de recherche et de politique du Centre pour l’égalité des femmes à Washington. Quant aux autres pays, l’IVG y reste interdite, à des degrés divers. À l’occasion de la Journée internationale consacrée au droit à l’avortement, France 24 dresse un panorama de la situation en Amérique latine.

Le Mexique à contre-courant de son voisin américain 

Les Mexicaines peuvent désormais avoir recours à l’IVG dans toutes les institutions fédérales de santé. “Le système juridique qui pénalise l’avortement dans le code pénal fédéral est inconstitutionnel”, a estimé le 6 septembre la Cour suprême du Mexique, assurant par un vote unanime l’accès à l’avortement sur l’ensemble du territoire. “C’est la première fois que la Cour suprême du Mexique établit qu’il s’agit d’une violation des droits de la femme, c’est un pas vraiment historique”, souligne Fanny Gómez-Lugo.

Le 7 septembre 2021, la même Cour suprême avait déjà invalidé plusieurs articles d’une loi de l’État de Coahuila prévoyant une peine de prison pour les femmes ayant recours à l’IVG et le personnel de santé les aidant. Si la plus haute institution judiciaire du Mexique avait alors estimé que les femmes ayant avorté ne pouvaient plus être poursuivies, son arrêt n’avait été appliqué que dans une douzaine d’États sur les 31 composant le Mexique. La capitale, Mexico, avait pour sa part autorisé l’IVG dès 2007, devenant ainsi la première juridiction d’Amérique latine à le faire.

Consciente du conservatisme du pays sur le sujet, Fanny Gómez-Lugo reste prudente : “S’il est désormais inconstitutionnel de criminaliser les femmes qui se font avorter, les institutions de santé pourront néanmoins continuer à mettre des obstacles, comme invoquer des objections de conscience, par exemple, pour entraver d’une manière ou d’une autre l’exercice de ce droit.” 

Les mentalités semblent pourtant changer dans le pays. L’élection présidentielle de juin 2024 verra s’opposer deux femmes – Claudia Sheinbaum, l’ancienne maire de Mexico désignée candidate par le parti au pouvoir, Morena, et Xóchitl Gálvez, la représentante du camp conservateur –, toutes deux favorables à la décriminalisation de l’avortement.

Au Brésil, la dépénalisation examinée par la Cour suprême

Le Brésil pourrait être le prochain pays à basculer. Vendredi 22 septembre, la Cour suprême a en effet entamé l’examen d’un recours demandant la dépénalisation. Si les débats ont été suspendus à la demande d’un des juges et doivent reprendre à une date encore indéfinie, la présidente de la Cour a déjà fait connaître son vote en faveur de la dépénalisation.

“La criminalisation de l’interruption volontaire de grossesse […] porte atteinte à la liberté et à la dignité des femmes”, a souligné Rosa Weber. “Nous avons été réduites au silence. Nous n’avons pas pu participer activement aux délibérations sur un sujet qui nous touche particulièrement”, a écrit la magistrate dans son argumentation de 103 pages.

Aujourd’hui, l’IVG n’est autorisée qu’en cas de viol, de danger pour la vie de la mère ou de malformations graves du fœtus. Si une majorité des 11 juges de la Cour – dont seulement deux femmes – décide de suivre le vote de la présidente, les femmes avortant sous 12 semaines de grossesse ne pourront plus être poursuivies, tout comme le personnel de santé réalisant l’IVG.

Une éventuelle dépénalisation ne signifierait pas pour autant qu’il serait possible d’avorter dans les hôpitaux publics. Le sujet de l’IVG reste particulièrement sensible dans ce pays très religieux, où l’Église catholique et les églises évangéliques – toujours plus puissantes – disposent de nombreux élus au Parlement. Selon un sondage de l’institut Datafolha publié par le journal Folha de S. Paulo en juillet, 52 % de la population brésilienne reste opposée à l’IVG tandis que 44 % y est favorable. 

Vers un retour à l’interdiction totale au Chili ?

Au Chili, l’interruption volontaire de grossesse est illégale, sauf en cas de risque pour la santé de la mère, de viol, ou de malformation du fœtus. De rares exceptions, acquises en 2017, qui pourraient bientôt disparaître.  

Le 20 septembre, le conseil chargé d’écrire la nouvelle Constitution chilienne – dominé par l’extrême droite – a en effet approuvé un article qui “protège la vie de toute personne à naître” et qui pourrait donc entraîner l’interdiction totale de l’avortement dans le pays. Un possible retour en arrière alors que, selon les données du ministère de la Santé, près de 4 300 femmes ont pu avoir recours à l’IVG dans le cadre de la loi entre 2018 et juin 2023 – un grand nombre d’entre elles étant en fait, dans les cas d’avortement pour viol, des jeunes filles de 13 ans.

Les Chiliennes et Chiliens se prononceront par référendum le 17 décembre prochain sur ce projet de Loi fondamentale encore en cours d’élaboration. Il y a un an, le Chili avait massivement rejeté, à près de 62 % des voix, la proposition de nouvelle Constitution appelée à remplacer celle héritée de la dictature d’Augusto Pinochet. Garantissant de nouveaux droits sociaux, le texte prévoyait alors d’inscrire dans le marbre l’accès à l’IVG, ce qui aurait constitué une première mondiale. (…)

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