🇫🇷 🇦🇷 « Sandoval, une affaire franco-argentine »  (enquête de Angéline Montoya / Le Monde)


L’ex-policier a été condamné à Buenos Aires, en 2022, pour un crime commis du temps de la dictature en Argentine (1976-1983). « Le Monde » a cherché à savoir comment il avait pu se réfugier en France en 1985, puis évoluer dans les milieux universitaires sans que son parcours intrigue, malgré de nombreux signaux d’alerte. Ces articles sont réservés aux abonné.e.s du Monde mais, face à l’intérêt de cette recherche, FAL en conseille vivement la lecture à ses lecteur.trice.s.

Première partie. L’étrange vie française de l’ancien policier argentin Mario Sandoval

Juin 1985. L’hiver austral commence juste à Buenos Aires. Voilà un an et demi que l’Argentine a renoué avec la démocratie, après la dictature (1976-1983) qui a fait 30 000 disparus, selon les organisations de défense des droits humains.

Depuis quelques mois, un juge d’instruction militaire enquête sur l’enlèvement d’un étudiant en architecture, Hernán Abriata, en 1976. Un homme de 31 ans est suspecté d’être l’un des ravisseurs : Mario Alfredo Sandoval, un jeune retraité de la police. Quand ce dernier rentre chez lui, ce soir de juin, son épouse de 27 ans, enceinte, l’attend avec leur premier fils et la fille qu’il a eue avec une autre femme. « On part », lui dit-il. Destination : Paris, où il a obtenu l’autorisation de sa hiérarchie de se rendre pour un an. Le 8 août, à Buenos Aires, le juge constatera sa « non-comparution » à l’audience où Sandoval était convoqué.

11 décembre 2019. L’hiver débute à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), en banlieue parisienne, où ce même Mario Sandoval, citoyen français depuis 1997, habite avec sa seconde épouse, Anne-Marie B. Celle-ci partage sa vie depuis son divorce à la fin des années 1990. L’ancien policier a perdu ses cheveux, mais il garde un corps athlétique, un port altier. Soudain, dix gendarmes de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre, épaulés par ceux du GIGN, viennent l’interpeller pour le conduire à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines).

Quatre jours plus tard, il est mis dans un vol pour son pays d’origine. Il y sera condamné, le 21 décembre 2022, à quinze ans de prison pour l’enlèvement et la torture d’Hernan Abriata. D’après la justice, il a appartenu à un commando, le « groupe de travail 3.3.2. », chargé de capturer les éléments dits « subversifs » et de les envoyer au centre clandestin de détention et de torture installé à l’Ecole de mécanique de la marine (ESMA). Les faits, selon le tribunal, constituent des « crimes contre l’humanité ». Mario Sandoval, qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations, a fait appel de sa condamnation et reste donc présumé innocent (…)

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Deuxième partie. Quand l’ex-policier argentin Mario Sandoval s’activait avec Jean-Michel Blanquer pour libérer Ingrid Betancourt

L’ancien policier, condamné en 2022 pour un crime commis sous la dictature (1976-1983), dit avoir aidé la France à tenter d’obtenir la libération d’Ingrid Betancourt, en Colombie, au début des années 2000. Selon l’enquête du « Monde », il s’est effectivement impliqué dans ce dossier, avec le futur ministre de l’éducation nationale.

Regard sévère derrière ses lunettes et son masque FFP2, pull bleu marine décoré d’un écusson bleu-blanc-rouge sur l’épaule, gants noirs… Ce 21 septembre 2022, Mario Alfredo Sandoval semble avoir enfilé un uniforme de la police française pour comparaître devant le tribunal de Buenos Aires, où il est jugé pour l’enlèvement et la torture d’un étudiant pendant la dictature argentine, en 1976. C’est une des premières fois que cet ancien policier argentin s’exprime en public. « Je suis un défenseur des droits humains, déclare-t-il. C’est en cette qualité que j’ai participé comme observateur au conflit colombien et que le gouvernement français m’a demandé d’intervenir dans la libération d’Ingrid Betancourt. »

Cet homme accusé d’avoir été un tortionnaire aurait-il aidé la France à tenter de sauver Mme Betancourt, otage des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) entre 2002 et 2008 ? Ses déclarations – explosives – ne provoquent aucune réaction à Paris, ni de l’Elysée ni du ministère des affaires étrangères. Pourtant, Mario Sandoval, qui sera condamné en décembre 2022 à quinze ans de prison – il a, depuis, fait appel –, assure avoir agi « avec tout l’appareil et le soutien » des autorités.

Interrogés par Le Monde, les diplomates français impliqués dans les discussions de paix en Colombie ou pour la libération de la Franco-Colombienne contestent avoir croisé ce dernier lors de ces négociations. « Sandoval, j’en ai entendu parler comme un des noms qui circulent dans la mouvance colombienne, mais pas plus que ça », explique Pierre Vimont, le directeur de cabinet de trois ministres des affaires étrangères successifs. Dominique de Villepin, ministre de 2002 à 2004, fait savoir ne pas le connaître. Idem pour Bernard Kouchner (2007-2010). « On m’a peut-être parlé de lui, mais comme un personnage qui virevoltait à la périphérie », affirme pour sa part Daniel Parfait, ancien ambassadeur à Bogota (2000-2004), directeur des Amériques au Quai d’Orsay (2004-2008) et compagnon de la soeur d’Ingrid Betancourt. (…)

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Sophie Thonon-Wesfreid : « L’affaire Mario Sandoval a fait avancer la jurisprudence en France »

Mario Sandoval, ancien policier argentin accusé de crimes contre l’humanité pendant la « guerre sale » en Argentine, est escorté par des policiers à l’aéroport international Ministro-Pistarini après avoir été extradé de France, à Buenos Aires, en Argentine, le 16 décembre 2019. Agustín Marcarian / REUTERS

Lors de la procédure d’extradition en Argentine de l’ancien policier accusé de crimes contre l’humanité, la Cour de cassation a reconnu la disparition comme un crime continu, imprescriptible tant que le corps n’a pas été retrouvé. Dans un entretien au « Monde », l’avocate de l’État argentin estime que cette décision pourrait permettre de poursuivre les crimes commis pendant les guerres coloniales.

Quand avez-vous entendu parler de Mario Sandoval pour la première fois ?

C’était en 2008, juste après la parution dans le journal argentin Pagina/12 d’un article révélant son passé de policier en Argentine. Les fondateurs d’un média en ligne français, El Correo, avaient traduit et publié l’article de Pagina/12, et Mario Sandoval leur intentait désormais un procès en diffamation, ainsi qu’à 42 autres médias. En 2012, la justice a finalement prononcé un non-lieu.

Pendant ces quatre années, vous allez enquêter sur lui. Que découvrez-vous ?

Il était accusé, dans Pagina/12, d’être l’auteur, durant la dictature argentine, de l’enlèvement et de la disparition, en 1976, d’un jeune étudiant, Hernan Abriata. J’ai trouvé qu’il avait été dénoncé par la mère de la victime, Beatriz Abriata, dont le témoignage figurait dans le dossier de la Conadep, la Commission nationale sur la disparition de personnes [qui avait été chargée, au retour de la démocratie, en 1983, d’enquêter sur les atrocités commises durant la dictature]. Mario Sandoval a toujours affirmé qu’il n’était pas le Sandoval ayant enlevé Hernán et même qu’il n’avait pas été policier. (…)

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Pour rappel, voir :
Argentine : comment la France a accordé la nationalité au tortionnaire Mario Sandoval (Street press) (février 2023)
Argentine. Mario Sandoval, ex-policier de la dictature, extradé de France, condamné à quinze ans de prison par un tribunal de Buenos Aires (AFP / Le Monde) (décembre 2022)
En même temps : tortionnaire et prof à la Sorbonne (décembre 2019)
La justice française valide définitivement l’extradition vers l’Argentine de Mario Sandoval, tortionnaire présumé (Angeline Montoya/Le Monde) (décembre 2019)
Affaire Sandoval devant le Conseil d’État : ultime recours avant d’affronter en Argentine les crimes du passé ? (Communiqué) (novembre 2019)
Dictature argentine. La France autorise l’extradition de l’ex-policier Mario Sandoval (Communiqués de presse et Flash Info) (octobre 2028)
Communiqués de presse : décision sur l’extradition de Mario Sandoval (24 mai 2018)
Communiqué/ Crimes contre l’humanité : la justice française doit extrader l’ex-policier argentin Mario Sandoval (avril 2018)
Affaire Sandoval. Extradition d’un tortionnaire argentin présumé : la justice française émet un nouvel avis favorable (Le Monde) (octobre 2017)