🇪🇨 Crise sécuritaire et lutte contre le narcotrafic en Équateur : quelques points de vue


Comment comprendre la crise sécuritaire dans laquelle est plongée l’Équateur ? Les analyses de Carolina Andrade Quevedo et Pablo Velasco Oña pour Le Grand Continent, Jean-Jacques Kourliandski pour France 24 et Espaces latinos, Gaspard Estrada pour France Info.

Photo : Vicente Gaibor del Pino / REUTERS

Équateur : comprendre la vague de violences (Carolina Andrade Quevedo, Pablo Velasco Oña / Le Grand Continent)

Dans l’après-midi du 7 janvier, en pleine opération de police à la prison régionale de Guayaquil, on annonce que le criminel José Adolfo Macías, plus connu sous le nom de Fito, a réussi à s’évader. Fito est considéré comme l’un des prisonniers les plus dangereux de l’Équateur : il est le chef du gang de trafiquants de drogue Los Choneros. Les deux jours suivants, des émeutes éclatent dans six prisons du pays, des gardiens de prison sont enlevés et de multiples attentats terroristes sont perpétrés dans au moins neuf provinces.

Des soldats patrouillent dans un quartier du sud de Quito, en Équateur, le vendredi 12 janvier 2024. © AP Photo/Dolores Ochoa

Plusieurs bâtiments et ponts sont bombardés, des dizaines de voitures brûlées… Dans la soirée du 9 janvier, devant les téléspectateurs interloqués, les présentateurs d’une chaîne de télévision nationale sont pris en otage par des criminels armés au cours d’une émission en direct.

Ces faits récents reflètent le pic atteint dans la grave crise sécuritaire à laquelle l’Équateur est confronté depuis six ans. Alors que l’année 2017 s’est achevée avec un taux de 5,8 homicides pour 100 000 habitants, en 2023, l’Équateur a été le pays le plus violent de la région, avec un taux de 46,5 homicides sur 100 000 habitants. Au milieu de l’année dernière, en sus de la crise sécuritaire, une crise politique a été déclenchée par un scandale de corruption impliquant prétendument le beau-frère du président de l’époque, Guillermo Lasso, avec des réseaux albanais de trafic de drogue. Cette crise a conduit à de nouvelles élections, remportées par l’homme d’affaires Daniel Noboa, qui a pris ses fonctions le 23 novembre et doit maintenant faire face à sa première grande crise nationale.  

Dans cette étude, nous présentons quatre clefs pour tenter de qualifier et de comprendre la crise actuelle que traverse le pays : une combinaison de l’augmentation du trafic de drogue, de la fragmentation des gangs criminels et de l’affaiblissement des capacités de l’État en matière de gouvernance de la sécurité.

Ces dernières années, l’Équateur a consolidé sa position de point d’expédition de drogues vers d’autres régions, principalement l’Amérique du Nord et l’Europe. En 2022, entre 30 et 50 % des drogues arrivant en Grèce et en Turquie provenaient du port de Guayaquil. La croissance des activités illicites se traduit par le record de 234 200 hectares de cultures illicites de coca en 2020, ce qui a également entraîné une augmentation du nombre de tonnes de drogues saisies, qui est passé de 18,2 en 2010 à 98,7 en 2017 et à 206 en 2023 — troisième année consécutive où le pays a dépassé les 200 tonnes. L’Équateur est actuellement le troisième pays au monde pour la quantité de cocaïne saisie.

Certains secteurs du territoire équatorien sont ainsi devenus particulièrement intéressants pour les mafias locales et internationales, entraînant une montée en flèche de la criminalité et des conflits. La province de Los Ríos, site stratégique pour l’acheminement de la drogue des frontières vers les ports, a clôturé l’année 2023 avec un taux d’homicide de 110,8 pour 100 000 habitants. La province de Guayas, qui abrite le plus grand port maritime du pays, affiche un taux d’homicide élevé de 84,5 homicides pour 100 000 habitants.

Le gang criminel des Choneros est apparu dans les années 1990 dans la province de Manabí. Grâce à sa coopération avec des groupes transnationaux de trafiquants de drogue, il est parvenu à se consolider comme l’un des plus grands groupes criminels de l’Équateur. En 2007, Jorge Luis Zambrano González, alias « Rasquiña », a pris le contrôle de l’organisation, qui s’est étendue à des points stratégiques du pays garantissant la protection armée des marchandises en provenance de Colombie et du Pérou vers les ports côtiers. 

La mort de Zambrano en décembre 2020 a provoqué des fissures et une série de conflits internes entre les factions dissidentes de la bande criminelle. Alors que le second commandant, Fito, fonde l’organisation alternative des Fatales, son successeur dans la chaîne de commandement, Junior Roldán, alias JR, fonde les Águilas. D’autres factions armées dissidentes se sont également renforcées, comme les Lobos, les Chone Killers et les Tiguerones. Les affrontements entre ces groupes ont donné lieu à de multiples massacres dans les prisons à partir de 2020, à des affrontements sanglants à l’extérieur des prisons et à la mort de plusieurs dirigeants. (…)

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Leer en español : Ecuador: puntos clave para comprender la ola de violencia


Chaos en Équateur : à qui la faute ? (France 24)

Pour Jean-Jacques Kourliandski, de la Fondation Jean Jaurès, “les gouvernants qui se sont succédé en Équateur ont coupé dans les budgets de la sécurité et de la police, donc il y avait un maillon faible.”

Émission de France 24

Équateur : S’agit-il d’une crise locale ? (Jean-Jacques Kourliandski / Espaces latinos)

Le quotidien des Équatoriens a été brutalement bousculé le 8 janvier dernier. Mutineries dans les prisons, prise d’otages,  occupation en direct d’un plateau de télévision, ont sidéré. Les autorités ont décrété l’état d’exception, puis l’état de guerre. Les auteurs de ces graves incidents ont été qualifiés de « terroristes » par le Chef de l’État. L’armée a été mobilisée pour rétablir la paix intérieure. 

Photo : Amazonas

Les titrailles de la presse internationale des 8-12 janvier ont circonscrit l’événement, présenté comme un spectaculaire fait divers équatorien : « Brutale série terroriste, les cartels de la drogue ont déclaré la guerre à l’Équateur » (der Spiegel, Allemagne) ; « Le crime s’est emparé du pays » (Radio Rivadavia, Argentine), « Dans un Équateur en guerre contre les gangs, Guayaquil devient une ville fantôme » (Le Devoir, Canada, Québec) ; « Alerte en Équateur » (El Mercurio, Chili); « Terreur à Guayaquil » (El Pais, Madrid), « Chaos en Equateur » (New York Times, Etats-Unis). « L’Équateur dans le chaos ; saccages, enlèvements, mutineries » (Corriere della Sera, Italie). Manchettes de même tabac dans la presse française, « Les gangs de narcotrafiquants plongent l’Equateur dans le chaos » (Les Echos) ; « L’Équateur au bord de l’abîme », (L’Express) ; « L’Équateur sombre dans une spirale de violence » (Libération). 

Le recours aux forces armées, chargées par définition de la défense des frontières, met le doigt sur le volet transnational de l’affaire. Rien de nouveau sous le soleil, l’Équateur n’est-il pas depuis la mission géodésique de La Condamine, en 1740, scientifiquement assis sur la moitié du monde ? Équateur géographique certainement, mais Équateur,  ouvert sur les Sud et les Nord, pour le bien comme pour le mal. 

L’ennemi, cible des militaires équatoriens, est certes local, le nom de différentes bandes délinquantes et de certains de leurs chefs a été publié urbi et orbi. Mais ces hors la loi organisés, ne vivent pas en vase clos. Ils sont la partie logistique locale de réseaux internationaux concurrents, vivant de trafics divers, dont celui des stupéfiants. 

Bolivie, Colombie et Pérou, proches et pour deux d’entre eux frontaliers, produisent et traitent la feuille de coca. Groupes criminels colombiens, balkaniques et surtout mexicains maîtrisent l’accès aux marchés de consommation étasunien et européen. Chefs d’orchestre de ce commerce illicite, ils ont trouvé en Equateur une plateforme de distribution internationale dotée d’une gamme d’avantages comparatifs exceptionnels. L’Équateur, à cheval sur deux hémisphères, entre canal de Panama et détroit de Magellan, dispose de nombreux ports bien équipés. Premier producteur mondial de bananes, l’Equateur exporte des bananes Cavendish, rouges et frécinettes, tous azimuts, de l’Allemagne aux Etats-Unis, de la Chine à la Russie. Des milliers de conteneurs, difficiles à contrôler, sont débarqués à New York, Rotterdam, Saint-Pétersbourg ou Le Havre. Le pays, modeste, n’a pas de capacités de surveillance policière, douanière, à la hauteur de l’enjeu. Qui plus est, l’Etat équatorien, ballotté par une succession de crises intérieures, économiques, politiques, éthiques et sociales, aggravées par des gouvernants convaincus des vertus de l’équilibre budgétaire, ne dispose pas des moyens lui permettant d’affronter un tel défi sécuritaire. Les trois derniers chefs d’État ont drastiquement compressé les budgets des forces de l’ordre et ceux des prisons. Facteur aggravant, la faiblesse de l’État a facilité l’acceptation sociale de la corruption, l’argent des trafiquants de drogue. La monnaie locale, le sucre, ayant été remplacée par le dollar il y a vingt-trois ans permet bien des transactions, en dépit de nouvelles technologies financières. 

Bandes d’Albanais, Colombiens, Mexicains ont pris langue avec des opérateurs locaux, afin d’organiser l’acheminement de l’offre, la drogue, vers les régions consommatrices. Ce débarquement a été accéléré par un événement extérieur : la signature en 2016, d’un accord de paix entre les autorités colombiennes et la guérilla des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Les cartes du marché de la coca colombienne ont alors été redistribuées dans la violence. L’existence d’une dissidence des FARC, au sud de la Colombie,  a dès 2018, contaminé la province équatorienne d’Esmeraldas. Et de fil en aiguille le Pacifique équatorien jusqu’à la métropole de Guayaquil. (…)

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Lutte contre le narcotrafic en Équateur : Il faut “changer de paradigme”, selon Gaspard Estrada (France Info)

Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes à Sciences Po Paris, estime que pour lutter contre le trafic de drogue et les cartels qui sèment le chaos en Équateur, la réponse répressive seule ne peut pas suffire et a déjà montré ses limites.

Pour l’instant, les politiques sont plutôt en faveur du statu quo en place depuis cinquante ans. Aussi, depuis une cinquantaine d’années, la politique vise essentiellement à réprimer les cartels, à décapiter les organisations mafieuses, mais sans prendre en compte la logique économique des cartels et sans avoir en tête la question de la santé publique. C’est-à-dire comment changer de paradigme dans la lutte contre le narcotrafic ?”

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Photo : Stringer / AFP

Voir aussi ces articles réservés aux abonné.es :
En Équateur, le président Daniel Noboa choisit la manière forte face à l’explosion de la violence des gangs (Marie Delcas / Le Monde)
Trafic de drogue : «L’Équateur est devenu le maillon le plus important dans la chaîne de commercialisation de la cocaïne» (Benjamin Delille / Libération)
Équateur : l’impasse de la « guerre contre la drogue » (Luis Reygada / L’Humanité)
« Le néolibéralisme a détruit l’Équateur », juge l’ex-président Rafael Correa (Angèle Savino / L’Humanité)


©AFP – Handout /

Pour rappel, voir :
– Criminalité : les pays andins lancent un plan commun contre les gangs (Courrier International / RFI)
 (22 janvier)
– Crise sécuritaire en Équateur : troisième semaine d’état d’urgence (revue de presse) (22 janvier)
– Équateur : crise sécuritaire. Le point sur la situation (revue de presse) (16 janvier)
– Crise sécuritaire en Équateur : quelques analyses (15 janvier)
– Équateur en état d’urgence et de «conflit armé interne» (revue de presse et premières analyses) (10 janvier)