🇬🇹 Le Guatemala revêt les habits neufs de la démocratie (Kassandra / Blog Mediapart)


Ce 14 janvier, le « pacte de corrompus », qui, ces dernières années, s’est consolidé à l’ombre des gouvernements successifs (et les a largement infiltrés), a une fois encore montré sa capacité de nuisance. Divers incidents ont maintenu le pays en haleine et retardé pendant de longues heures l’intronisation du nouveau président Bernardo Arévalo et de sa vice-présidente Karin Herrera.

Le nouveau président guatémaltèque, Bernardo Arévalo, et sa femme, Lucrecia Peinado, à la cathédrale de Guatemala City, le lundi 15 janvier 2024. (Cristina Chiquin / Reuters)

Sous l’œil des nombreuses délégations internationales ayant fait le déplacement pour assister à la cérémonie – censée débuter à 10 heures du matin par la clôture de la période législative –, les membres sortants du Congrès se livraient à une pitoyable pantalonnade destinée à faire barrage à la volonté de changement exprimée par les citoyen.nes au cours des élections d’août 2023.

La manœuvre consistait en réalité à empêcher la nomination à la présidence du Congrès de députés du Parti Semilla, celui-là même qui avait porté Bernardo Arévalo au pouvoir. Mais, comme à l’accoutumée, ces sombres desseins se sont occultés derrière des arguties juridiques qui, durant cinq longs mois de transition, ont pavé le parcours accidenté d’Arévalo vers le pouvoir[i].

Après qu’en octobre, le Tribunal suprême électoral ait, de haute lutte, définitivement validé le scrutin, ouvrant la voie au processus de transition, une des tactiques a consisté à faire suspendre la personnalité juridique du Parti Semilla, obligeant ainsi les élus de ce parti, à s’inscrire comme « indépendants » pour pouvoir siéger.

En conséquence de quoi, les représentants de plusieurs partis (désormais dans l’opposition) ont, dans un effort désespéré, tenté une interprétation du règlement, fondée sur les allégations de juristes à leur solde, qui empêcherait les parlementaires indépendants d’occuper des fonctions de direction au sein du Congrès.

Ainsi, pendant de longues heures, on put assister en direct à la télé à des scènes surréalistes comme celle de députés tambourinant à la porte close du Parlement, tandis qu’une foule compacte de manifestants se concentrait devant et tentait de forcer les barrières de sécurité entourant le vénérable édifice, transformé pour l’occasion en l’arène d’un cirque (juridique).

Sur les plateaux des chaines locales, pour tuer le temps, on faisait défiler des commentateurs qui, d’un ton imperturbable, décortiquaient les points et les virgules de différents articles de la Constitution, discutant la validité d’un article de 1985 fixant à 16 heures, la limite légale pour effectuer la passation de pouvoir… entre autres péroraisons ; au mépris des quelques soixante délégations internationales, dont certaines finirent par se retirer tandis que d’autres émettaient des déclarations qui laissaient poindre une certaine impatience.

Vers 18 heures, s’exprimant au nom de toutes, le secrétaire général de l’Organisation des États Américains, Luis Almagro, exhortait la Cour Constitutionnelle (CC) à ramener les récalcitrants à la raison… et à laisser les choses suivre leur cours.

Puis – comme dans la comptine où on fait appel au chien, au loup, au bâton, au feu, à l’eau… et jusqu’au diable pour faire sortir Biquette du chou – tout s’enchaîna : au terme d’âpres négociations entre différents partis, on déterra des articles de loi convenant à l’inscription des « indépendants », la CC fit valoir les sanctions encourues par les députés sortants qui n’occuperaient pas leurs sièges pour clore la législature (permettant ainsi l’ouverture d’une nouvelle, et la prestation de serment du nouveau président)… le quorum fut atteint et vers 22 heures, avec près de 12 heures de retard sur l’horaire prévu, la cérémonie put commencer au terme de laquelle, vingt minutes passées minuit, Bernardo Arévalo devint constitutionnellement le président légal et légitime de la république du Guatemala.

Bien que conforme à l’ennuyeuse pompe qui marque généralement les investitures présidentielles, celle-ci mérite quelques commentaires : tout d’abord, concernant les personnalités internationales présentes (et surtout absentes) et la ferveur des ovations dont elles firent l’objet.

Au rang des chefs d’État de la région, seuls étaient restés la présidente du Honduras, Xiomara Castro et le premier ministre du Belize, John Briceño ; ce dernier malgré les relations historiquement compliquées avec le Guatemala[ii]. Le Salvador, le Nicaragua et le Panamá ne furent pas mentionnés, même parmi les délégués de moindre importance protocolaire… Le président du Costa Rica, celui du Chili et le Roi d’Espagne, dont la présence avait été annoncée dans la journée, n’étaient visiblement plus présent le soir…

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Message du président colombien à son homologue guatémaltèque

En revanche, la présence du président colombien Gustavo Petro fut copieusement applaudie par l’assistance. Il est vrai que la veille, dans un message sur ses réseaux sociaux, il avait appelé ses homologues à assister à la cérémonie en raison des menaces de coup d’État pesant sur la démocratie guatémaltèque. 

Au niveau du continent, si les représentants de plus ou moins haut niveau du Brésil (le vice-président) ; de Cuba (vice premier ministre) ; de la République dominicaine ; de la Bolivie ; ou du Mexique furent saluées, aucune mention ne fut faite d’une représentation du Venezuela…ni des États-Unis.

Parmi les invités venus de plus loin (du Maroc, de la Serbie, du Portugal) il convient de souligner celle de Taïwan, notable pour deux raisons : d’une part, les élections qui viennent de s’y dérouler s’inscrivent également dans un contexte hautement conflictuel et d’autre part, le Guatemala conserve des relations avec Taiwan contrairement à tous les autres pays d’Amérique centrale qui les ont rompues au profit de la République populaire de Chine.

Particulièrement significatifs furent les cris qui accompagnèrent l’entrée du président de la Cour suprême de justice (CSJ). Un fait qui peut paraître étonnant dans ce genre d’évènement mais qui est compréhensible dans le cas du Guatemala, en raison de l’ingérence récurrente des institutions de justice dans la vie politique du pays, y compris dans les crises aggravées (voire provoquées) notamment par l’opposition entre la CSJ et la CC.

Cette bruyante manifestation s’inscrivit en contraste avec les applaudissements isolés qui accueillirent le vice-président sortant, venu lire le message réglementaire, marquant la fin du mandat du président sortant.

Enfin, après qu’eut retenti l’hymne national et que le nouveau chef de l’État eut enfin prêté serment, les premiers mots de son allocution s’attachèrent à souligner la volonté de sauver la démocratie, tâche dont cette journée a constitué, en quelque sorte, à la fois l’aboutissement et le commencement. (…)

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Voir aussi Guatemala : malgré les embûches, Bernardo Arévalo finalement investi président (L’Obs avec AFP / Libération / La Hora / fr.esp.) 15 janvier 2024


Photo : Prensa Libre / Érick Ávila

Pour rappel, voir :
–  Appel à la mobilisation le 14 janvier pour défendre la démocratie au Guatemala / Llamado a la movilización por el respeto de la democracia, junto a la «otra Guatemala» (communiqué collectif du 9 janvier 2024) (9 janvier 2024)
 L’autre Guatemala revient au nom de la démocratie (tribune de Sergio Ramírez / El País / Traduction FAL) (11 décembre)
 Au Guatemala, l’élection de Bernardo Arévalo garantie par le tribunal électoral (Le Monde / AFP)
– « L’Europe et la France doivent faire pression sur le gouvernement sortant du Guatemala afin qu’il respecte l’expression de la volonté populaire » (Tribune collective) (8 octobre)
– Vague de manifestations au Guatemala en soutien au président élu Bernardo Arévalo (revue de presse) (7 octobre)
– Crise politique au Guatemala : Arévalo dénonce un « coup d’État en cours » et appelle à la résistance (Luis Reygada / L’Humanité) (9 septembre)
– Au Guatemala, la disqualification du parti du président élu Arévalo suspendue temporairement par la justice (Le Monde) (5 septembre)

– Guatemala : un espoir de changement ? (Bernard Duterme / CETRI) (26 juillet)
– Guatemala : un «entre-deux tours» judiciarisé (revue de presse) (24 juillet)
– L’intégrité du processus électoral au Guatemala mise à mal par une judiciarisation excessive (Communiqué collectif) (22 juillet)
– Au Guatemala, la disqualification à la présidentielle du parti d’Arevalo suspendue (France 24) (16 juillet)
– Élections au Guatemala (communiqué commun / Collectif Guatemala – FAL) (11 juillet)
– Présidentielle au Guatemala: le recomptage des voix du premier tour confirme la qualification de la gauche (RFI) (8 juillet)
– Élections au Guatemala : résultat qui crée la surprise et suspension de la proclamation (revue de presse) (29 juin)